Une mère face à son fils dépendant à la drogue. Entre drame familial, film d’horreur et polar, Ben is Back observe avec justesse l’autodestruction affectant violemment l’entourage. Porté par Julia Roberts et Lucas Hedges, impressionnants.
C’est toute une vie familiale chavirée, chahutée, mise en danger par ce simple fait : Ben est revenu. Ben qui ment, triche, vole, promet et ne tient jamais parole, Ben qui a trahi chacun, déçu tout le monde, Ben que son beau-père ne veut pas voir dans sa maison, que sa sœur cadette Ivy surveille, soupçonneuse…
Mais Ben que ses demi-frères et sœurs, trop petits pour se souvenir de tout, accueillent comme celui qui joue, chante avec eux et les fait rire. Et Ben que sa mère Holy — inébranlable chêne bravant la tempête, ou plutôt roseau qui plie, mais ne rompt pas — continue à aimer. Parce qu’il est son fils, qu’elle ne peut pas faire autrement. Parce que, si elle ne l’aimait pas, si elle ne l’aidait pas, elle se détesterait, comme le lui dit une autre mère, en deuil de sa propre fille morte d’overdose. Tout le monde autour d’Holy le rappelle : « On avait juré qu’on ne revivrait pas ça. » Mais elle n’y peut rien : Ben est là, elle est heureuse et effrayée à la fois.
Le film s’ouvre et se clôt sur le retour de Ben. Improbable dans les deux cas, à la fois craint viscéralement et désiré ardemment. Un homme debout dans une allée, le visage couvert par une capuche. Spectre ou délinquant ? Un homme allongé, les yeux clos sur un capot de voiture. Dormeur ou gisant ?
Tout cela à la fois. Ben est revenu et Ben n’aurait jamais dû revenir. Car Ben, 19 ans, drogué depuis l’adolescence suite à une grave blessure entraînant la consommation chronique d’antidouleurs, est en sursis… L’idée de la mort est omniprésente. Elle s’insinue partout dans chaque plan du film : des amis le croisant au centre commercial et s’étonnant de le voir en vie, à sa mère l’emmenant dans un cimetière et lui demandant de choisir le lieu où elle devra l’enterrer.
Peter Hedges, scénariste de Pour un garçon (2002) et auteur et réalisateur de Coup de foudre à Rhode Island (2008), se sort plutôt bien de ce sujet ardu et rebattu qu’est la dépendance et ses ravages. Parce qu’il traite frontalement le cataclysme au sein de la famille et l’ambivalence terrible (amour/haine) que finissent par générer les personnes en proie à l’addiction. Parce que, ce faisant, il se focalise sur une mère pleine de courage et de contradictions, et qu’il a eu la chance de décrocher Julia Roberts pour le rôle. L’actrice est une fois de plus exceptionnelle dans ce personnage complexe, que son jeu instinctif, physique, contribue encore à enrichir d’innombrables nuances justes et bouleversantes. Elle fait tout passer en un quart de seconde : l’amour et la peur, la volonté et l’impuissance, le désespoir et la confiance, le fatalisme et la colère. Face à elle, le jeune Lucas Hedges est impressionnant dans sa constante dualité, somme des forces contraires à l’œuvre dans son personnage sans cesse entre deux eaux. Lucas Hedges, oui, fils de son réalisateur de père, 21 ans lors du tournage, mais déjà très remarqué et remarquable dans sa jeune filmographie qui va de Moonrise Kingdom de Wes Anderson à Three Billboards, les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh, en passant par Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan. Mais tout le casting est impeccable, et notamment Kathryn Newton dans le rôle d’Ivy, la sœur inquiète et consciente du danger.
En cette veille de Noël, on peut croire aux miracles. Le film où le froid, la neige, les sapins décorés et les guirlandes lumineuses rappellent sans cesse « l’esprit » qui flotte, est placé sous le signe de l’ambivalence face à cet espoir. La toute première scène, située dans une église, établit que la famille n’est ni croyante ni pratiquante, mais Holy (qui veut dire
« Sainte », ce n’est pas un hasard) est mue d’une foi inébranlable en la vie. Même si tout, toujours, lui a prouvé le contraire, même si lui-même la prévient de ne pas le croire, de le laisser tomber, Ben, selon Holy et contre tout pronostic logique, va s’en sortir. Parce qu’il le faut.
Construit en spirale, implacable dans son déroulement, Ben is Back cède à quelques passages obligés (la séquence aux Narcotiques Anonymes, la rencontre avec les très méchants dealers), mais parvient aussi, sur le fil de plusieurs genres cinématographiques, à dire des choses essentielles, douloureuses, graves. Et toucher au cœur.