À trois âges de sa vie, Marie Dumora suit Belinda dans un vibrant documentaire qui porte son prénom.
C’est son Antoine Doinel à elle. Quand la cinéaste Marie Dumora rencontre Belinda, elle a 9 ans. En 2002, dans Avec ou sans toi, elle la filme avec sa sœur Sabrina, alors qu’elles sont placées dans un foyer d’accueil et qu’un magistrat décide de les séparer. « Je les trouvais solaires, drôles, incroyablement vivantes », se souvient-elle. En 2008, elle tourne Je voudrais aimer personne, où l’on suit Sabrina devenue mère à 16 ans, jeune fille décidée aux bottes blanches et au pas rapide, qui souhaite faire baptiser son fils. Dans Belinda, Marie Dumora retrouve la cadette à l’âge de 23 ans. Avec les rushs réalisés lors des tournages précédents, elle dessine un arc entre l’enfance et l’âge adulte et filme une trajectoire romanesque et la naissance d’une femme.
Nous sommes dans le Haut-Rhin, en Alsace, la terre de cinéma de Marie Dumora. Belinda est devenue une jeune femme aux cheveux longs, amoureuse d’un jeune homme, Thierry, qu’elle désire épouser. Marie Dumora la suit, elle et son entourage, toujours à juste distance et sans camoufler son dispositif : elle use d’une grosse caméra à l’épaule, équipée d’une focale 50 mm (qui correspond à la vision de l’œil, à la manière de Bresson, Blain ou Ozu) et est accompagnée d’un ingénieur du son. Sous son regard tendre et bienveillant, ses personnages évoluent de moments de grâce en déconvenues. Son héroïne est une Pénélope patiente et résolue, un petit soldat vaillant, courageux et fervent. Marie Dumora parvient à tisser un récit fort et émouvant, où le champ et le hors-champ se répondent habilement (à cet égard, la scène du mariage fait appel à notre imaginaire et brille par ce qu’elle ne peut dévoiler). Car dans cette famille d’origine yéniche (communauté semi-nomade d’Europe), plusieurs membres passent une partie de leur temps incarcérés. La réalisatrice fait une place à ces absents, marie judicieusement ce qui se joue sous nos yeux et ce qui se raconte ou se fantasme. C’est la force de ce documentaire, qui donne à voir des êtres démunis, mais debout. Vaille que vaille.