Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton

Les Noces de la famille Addams !

Le nouveau Tim Burton prouve que certains récits traversent les générations et se réinventent dans la joie.

Attention, film(s) culte ! En 1988, sur la base d’un scénario improbable, auquel la plupart des « big wigs » d’Hollywood ne croyaient pas, Beetlejuice cassait les codes, et la baraque avec. En 2013, le public, inquiet, apprenait qu’une suite était bien en préparation, après plus de vingt ans de chauds et froids sur le projet. Puis que le projet était – à nouveau – caduque. Puis – à nouveau – sur les rails. En 2024, prouvant qu’il suffisait du bon moment (et d’un scénario à toute épreuve) pour qu’il retrouve toute sa fraîcheur et son génie, le réalisateur Tim Burton livre avec fracas un Beetlejuice Beetlejuice irrévérencieux et drôlissime, dont le casting a tout de la grand-messe. Michael Keaton, Winona Ryder et Catherine O’Hara y reprennent leurs rôles respectifs, rejoints par Jenna Ortega, Justin Theroux, Willem Dafoe et Monica Bellucci, entre autres.

Après le premier Beetlejuice, Batman (1989), Edward aux mains d’argent (1990), L’Étrange Noël de monsieur Jack (1993) avaient semblé un tantinet moins provocateurs, mais avaient tissé la toile magique. Et brillamment cultivé l’humour noir, l’excentricité et la mélancolie qui sont au coeur de la singularité de Burton. Son univers fantastique, gothique, parfois macabre, est le terreau fertile grâce auquel ces films ont pu naître et marquer des générations. Mars Attacks ! (1996) avait secoué les chaumières. Et de nombreux films sombres et poétiques ont suivi.

Mais plus récemment, soyons honnêtes, Burton a trébuché avec certains de ses films. Alice au pays des merveilles a perdu son authenticité et son identité à coups d’injections d’effets spéciaux, Dumbo est… n’est pas… Passons.

La très grande force de cette suite, c’est qu’elle évite la plupart des écueils qui auraient pu la ruiner. Ce Beetlejuice 2, coécrit avec une verve presque délirante par Alfred Gough et Miles Millar, qui officiaient justement tous deux sur Wednesday /Mercredi (série Netflix de Tim Burton en 2022, succès international, et tremplin à la carrière cinématographique de Jenna Ortega) s’avère riche, inattendu, et truffé d’œufs de Pâques.

On y retrouve aussi Bo Welch, chef décorateur sur Beetlejuice, parmi les consultants visuels. Mais c’est Mark Scrutton (Gravity de Alfonso Cuaron, Ready Player One de Steven Spielberg) qui lui succède à la création des décors. Il déploie, avec panache et humour noir, son surréalisme gothique, déjà spectaculaire dans la série télévisée Wednesday, où Scrutton réussissait à capturer l’essence gothique et mystérieuse de l’univers burtonien. Le manoir de la famille Addams et l’école Nevermore, avec leur mélange d’architecture baroque et de fantaisie sinistre, en sont les preuves indiscutables.

Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton. Copyright 2024 Warner Bros. Entertainment Inc. / Parisa Taghizadeh.

Tim Burton a eu la sagesse de reprendre certains des éléments qui ont fait le succès de l’original, sans trop s’en éloigner, pour fabriquer un film résolument rétro, avec plus d’effets spéciaux mécanico-réels que virtuels. Parce qu’il a refusé de baisser le curseur de l’humour irrévérencieux qui fait le sel de l’original, Beetlejuice Beetlejuice est presque transgressif et toujours aussi gore, délesté des artifices propres aux blockbusters modernes. Michael Keaton, explosif, dépasse toutes les attentes. Monica Bellucci, sculpturale, est parfaitement à sa place ; Willem Dafoe est formidable dans le rôle d’un ancien flic de télé devenu détective de l’au-delà  ; Justin Theroux est exubérant mais efficace.

On saluera le travail (bien qu’un peu plus lisse que ce qu’on aurait aimé voir) du directeur de la photographie Haris Zambarloukos, qui trouve l’équilibre entre hier et aujourd’hui. Et on se prosterne devant celui de l’infatigable Danny Elfman, dont la musique originale semble passée au karcher pour lui rendre son éclat sans le moindre dommage, au contraire. Elfman est (à l’exception de trois films) le compositeur attitré du réalisateur depuis son premier long-métrage, Pee-wee Big Adventure, en 1985. Dès les notes inaugurales du thème principal de Beetlejuice, on est saisi par la modernité du score, qui a joué un rôle clé et indissociable dans son avènement. Quelques notes à peine parviennent à nous faire glisser, sourire aux lèvres et coeur battant, dans les tréfonds sombres et grotesques de l’entre-deux monde.

La cheffe costumière Colleen Atwood, connue pour sa patte rétro-gothique et singulière, est une collaboratrice régulière de Burton depuis Edward aux mains d’argent (1990), mais aussi de Michael Mann, Jonathan Demme… Oscarisée pour Chicago en 2003, et Alice au pays des merveilles en 2011, entre autres, elle aussi dépoussière joyeusement Beetlejuice tout en en respectant scrupuleusement la direction artistique et les costumes.

Satire plus subtile qu’il n’y paraît de la société, de notre paysage audio-visuel aux artifices de notre monde cruel, de la culture de l’apparence comme de celle du profit, capable de déployer sans lourdeur et les unes après les autres les références hypertextuelles, ce nouveau Tim Burton est naturellement woke, mais le réalisateur est woke depuis qu’il fait du cinéma (au moins), et rien ici ne semble contraint ou contrit.

Il y a fort à parier qu’un Beetlejuice Beetlejuice Beetlejuice soit en préparation. Ceux et celles qui savent, savent : trois fois Beetlejuice, c’est la porte ouverte au pire, et donc au meilleur.

 

Mary Noelle Dana