Adapté d’un vrai fait divers, le nouveau film de Cédric Jimenez suit le quotidien de la BAC Nord, brigade de police en fonction dans les quartiers les plus dangereux de Marseille. Face au trafic de drogue, poussée par une administration à la recherche de résultat, leurs méthodes sont souvent discutables. Film d’action spectaculaire d’une grande maîtrise, BAC Nord laisse aussi perplexe quant à la morale qu’il défend.
Qu’il raconte des intrigues mafieuses (La French) ou qu’il s’aventure dans la grande Histoire (HHhH), le style Jimenez reste le même. BAC Nord, polar marseillais vaguement politique, ne déroge pas à la règle. Mise en scène ouvertement spectaculaire, style souvent un peu pompier, le cinéaste aime les visages contrastés, la musique épique et les voitures qui font du bruit. Ses films sont au cinéma français ce que les SUV américains de luxe sont à l’automobile, éthiquement discutables, mais sacrément impressionnants.
Alors, soit on déteste, soit on aime, tout en sachant que cela satisfait une partie un peu honteuse de notre cinéphilie. Car tout de même, c’est rondement mené et très efficace – les scènes de courses-poursuites comme d’interrogatoires fonctionnent avec rythme et suspense et il faut saluer un sens aigu du montage qui n’a rien à envier aux ambitieuses productions hollywoodiennes, tout en essayant quelque chose de différent. Car Jimenez propose un véritable univers de cinéma. Bien sûr, ses banlieues nord où la police n’entre pas, ses gangs aux allures de cartels mexicains, ses bad lieutenants au grand cœur n’ont rien de réaliste (en dépit du caractère « histoire vraie » appuyé longuement à la fin du film). Mais ils ne sont pas non plus les caricatures délirantes d’un Banlieue 13. Cédric Jimenez se place dans une sorte d’entre-deux, qui donne au film d’action toute sa liberté, dans un Marseille tout droit sorti d’une pub pour le pastis. Avec un François Civil aux longs cheveux blonds et à « l’acceng » chantant. Il n’est pas le seul à briller, Gilles Lellouche et Karim Leklou sont, eux aussi, excellents dans des personnages lourds, virils et aux larges épaules. De Jean Dujardin dans La French à Jason Clarke dans HHhH, de Olivier Barthelemy dans Aux yeux de tous à Clovis Cornillac dans Scorpion (réalisé par Julien Séri, mais dont il est à l’origine), jusqu’aux héros de BAC Nord : à travers ses personnages, Jimenez témoigne d’une certaine passion pour la mythologie du mâle, tel qu’il était représenté dans les statues de la propagande soviétique. Difficile de ne pas voir non plus dans ce rapport au corps masculin et à la virilité les relents d’une esthétique fasciste, dans laquelle – bien malgré lui – le réalisateur se complaisait déjà avec HHhH et ses scènes de folklore nazi. Il est probable que le cinéaste soit foncièrement bien intentionné, et qu’il n’en ait pas forcément conscience, mais il y a petit arrière-goût amer dans cette esthétique fascinante, d’une efficacité redoutable.
De la même manière, ce scénario (signé Audrey Diwan), techniquement très habile, laisse un peu mal à l’aise. In fine, les petits flics corrompus avec leurs petits trafics, leur violence et leurs méthodes de Far West, ce n’est pas bien grave, puisque, dans le fond, ils ont un grand cœur. Ils sont si gentils, si humains, avec leur petite famille pour laquelle ils travaillent dur. La Grande Administration en revanche, cette machine à broyer les braves agents, voilà le vrai Satan. Ainsi, tout en critiquant la police, Jimenez réussit à faire un film « pro-flics ». Si c’est son droit le plus strict, on pourra questionner le raisonnement que ce long-métrage – bien souvent manichéen – sous-tend, et qui pourrait légitimer certaines des théories « anti-élites » les plus nauséabondes qui ont cours sur les réseaux sociaux et dans les médias. S’affichant comme un film sérieux, adapté d’un fait « réel », BAC Nord nous nous invite à le juger sur sa qualité morale. Dommage, car le film est malgré tout un excellent divertissement.