C’est l’histoire d’un retour au pays, et de quatre personnes malmenées pour des préjugés culturels.
Des femmes ôtent leurs bijoux et leurs atours bigarrés en riant et discutant sur le pas de la porte d’un défunt. Elles couvrent leur tête de longs voiles noirs, revêtent des habits de grand deuil. La façon dont elles pénètrent ensuite dans la maison en poussant des cris, procession tragi-comique de corps tordus sous le (faux) chagrin, est un des très grands moments du film. Incongru, drôle malgré la situation, d’une beauté sidérante. En montrant ainsi ces pleureuses professionnelles payées pour venir accompagner (et même abreuver littéralement, comme on le voit dans la fin de la scène) le chagrin de la famille, Baloji, artiste protéiforme, rappeur et styliste, qui signe ici son premier long-métrage, affiche un don pour les images fortes.
Mais ce talent pictural qui lui fait évoquer des enfants des rues vêtus de tutus roses, ou un désenvoûtement aboutissant sur deux corps nus enlacés et entièrement peinturlurés de cercles et volutes beiges et dorés, se met au service d’un film ambitieux et original. Qui évoque le choc inévitable des cultures entre l’Afrique et l’Europe, le poids écrasant des traditions, des croyances et des idées reçues.
L’histoire est celle de Koffi (Marc Zinga), qui vit en Belgique et retourne au Congo, où il est né, après dix-huit ans d’absence. Il souhaite présenter à sa famille Alice (Lucie Debray), la femme (blanche) qui partage sa vie et porte leurs jumeaux à naître. Il vient aussi, selon la tradition, payer la « dot », c’est-à-dire « rembourser » l’argent que ses géniteurs ont dépensé pour l’élever. Dès l’arrivée à Lubumbashi, celui que toute sa famille appelle Zabolo (Diable) à cause d’une tache de naissance sur sa joue gauche, sème la panique dans une fête de famille. La violence de la scène qui s’ensuit est terrifiante. Entravé, plongé tête la première dans une bassine, Koffi est malmené par le sorcier et mis à mort (verbalement du moins) par tout le cercle des convives sous les yeux affolés de sa compagne.
Mais Augure n’est pas que l’histoire de cet homme qui s’est, malgré tout, échappé du carcan.
Trois autres personnages, dont le nom s’inscrit en lettres capitales rouges sur l’écran, forment cette mosaïque complexe et nous font relativiser nos sentiments. Tour à tour, Paco (Marcel Otete Kabeïa), gamin des rues mal aimé, abandonné, qui est bien vivant, mais pourrait tout aussi bien représenter la jeunesse de Koffi ; Tsahla (Eliane Umuhire), sœur délurée de ce dernier mise au ban de la famille pour ses amours avec un (trop) jeune Africain du Sud ; et finalement leur mère, Mujila (Yves-Marina Gnahoua), occupent l’écran et bouleversent nos cœurs et nos certitudes. Tous et toutes victimes, ces deux hommes et ces deux femmes, regardés avec intensité et crudité par Bajoli, offrent à nos yeux une palette bien plus nuancée qu’annoncé de destins fracassés sous le joug des mâles dominants, qu’ils soient sorciers ou bien vieux maris.
Film de masques et de rituels, hanté d’absents et de fantômes, Augure est parfois obscur, mais jamais exotique. Sa force visuelle se double de sensations inédites, étranges. Il vaut bien qu’on s’y perde un peu pour mieux s’y retrouver.