Un poste de police aux faux airs de siège du Parti communiste, à une époque indéterminée – certainement de nos jours. Un interrogatoire. Un suspect qui dit ne pas être coupable face à un inspecteur bien décidé à lui faire cracher le morceau. Le pitch de la nouvelle comédie de Quentin Dupieux est très simple, mais Au poste ! n’en n’est pas moins surprenant…
Si Quentin Dupieux a longtemps été associé à un cinéma presque expérimental, dont le jeu sur une absurdité souvent visuelle prenait le dessus sur une narration réduite au strict minimum (Rubber, Wrong Cops), ou volontairement incompréhensible (Wrong), il a approché une certaine maturité avec son précédent film, Réalité. Comédie surréaliste avec Alain Chabat, Réalité pouvait se voir comme une histoire à intrigue – avec toutefois des digressions nonsense assez similaires à ce qu’on avait connu dans ses précédents films. Sorte d’apothéose du « style Dupieux », aussi riche de bonnes idées que de maladresses, Réalité manquait aussi de modestie, se prenant parfois hasardeusement pour un David Lynch de comédie.
Peur sur la ville
Au poste ! est l’exact inverse de ces errements passés. Là où Réalité était compliqué et trop riche, Au poste ! est simple et direct. Là où les références de Réalité étaient essentiellement américaines, celles d’Au poste! sont françaises, voire franchouillardes. Le clin d’œil de l’affiche d’Au poste ! à celle de Peur sur la Ville de Verneuil en est la promesse, la note d’intention. Comme un manifeste pour un nouveau chapitre dans la cinématographie de Quentin Dupieux. Ce n’est pas un hasard si beaucoup de personnages sont appelés uniquement par leur nom de famille, aux consonances très franco-françaises (Fugain, Buron, Franchet, Champonin), comme dans un bon vieux film de flics avec Belmondo ou Gabin. Pas un hasard non plus si on ne retrouve pas dans ce film Eric Judor l’acteur pourtant fétiche du musicien-cinéaste. À sa place, un casting qu’on pourrait qualifier de « classique » dans la comédie française (Poelvoorde, Duquesne, Demoustier), avec une surprise et deux révélations. La première révélation, c’est évidemment Grégoire Ludig, rare enfant du web à avoir réussi sa conversion au cinéma (il formait avec David Marsais le duo du Palmashow). On l’avait bien vu dans quelques comédies pas toujours très réussies (Bonne Pomme, Et ta sœur), mais son rôle dans Au poste !, aussi drôle que sobre et grave, signe son vrai baptême de « Grand Acteur Comique Français ». Face à un légendaire tenant du titre (même s’il est belge), Benoît Poelvoorde, qui campe tout en finesse (sans pétage de plombs) un policier zélé ne comptant pas ses heures.
C’est pour ça
L’autre révélation du film de Quentin Dupieux, peut-être la plus importante, est Marc Fraize. Comédien de stand-up aux trop rares incursions cinématographiques, Marc Fraize nous offre dans Au poste ! l’un des personnages les plus hilarants de la filmographie de Quentin Dupieux : Franchet, l’assistant de Buron (Poelvoorde), petit flic maladroit mais consciencieux, très grave, à l’étrange déformation oculaire (qui n’est pas sans rappeler Rough, le personnage borgne joué par Judor dans Wrong Cops), et au tic de langage fort désagréable, mais particulièrement réaliste et crédible. Buron a en effet la fâcheuse tendance de finir ses phrases par « c’est pour ça ». Un TOC d’abord inoffensif, mais qui devient délicieusement agaçant au fur et mesure qu’il contamine les personnages, et même les spectateurs. On dit souvent que les images imprègnent les esprits cinéphiles, ici, ce sont aussi les dialogues qui imprègnent, et méchamment. D’après Buron, les sources de ce TOC sont à attribuer à sa femme, la brave Fiona, qui en est sérieusement atteinte. Interprétée par Anaïs Demoustier, flanquée d’un improbable mais très prononcé accent du Nord, c’est la grande surprise du film. Un personnage à la fois hilarant et très juste, comme on pourrait en côtoyer « dans la vie », aux antipodes des rôles sérieux ou sages qu’a pu tenir l’actrice par le passé, et qui vient confirmer une nouvelle fois qu’il s’agit d’une comédienne exceptionnelle.
Comme pour l’œil de Buron, certaines obsessions de Quentin Dupieux remontent à la surface, et c’est tant mieux. On retrouve ainsi la narration surréaliste et la réalité distordue qui a fait la marque de fabrique du réalisateur. Mais cette narration n’est plus du tout prétexte à un quelconque mind-blowing. Elle sert la comédie, et rend le film encore plus surprenant et drôle. À ceux qui s’apitoient devant le manque de renouvellement des films comiques français ; à ceux qui craignent un déclin de la comédie française de qualité, gangrenée par des Dany-Booneries ou Christian-Claviéseries qui se ressemblent toutes dans leur bêtise et leur vulgarité : qu’ils soient rassurés. Les prophètes sont là où on les attend le moins, et Quentin Dupieux, avec Au poste !, nous le prouve : elle est là, la nouvelle comédie française.