L’histoire de deux frères : l’un mortel, l’autre immortel. En ressuscitant un mythe basque oublié, Eugène Green réalise une œuvre lumineuse, magique, généreuse, ouvrant ses bras à tous les publics.
Fidèle et passionné de culture basque, Eugène Green, qui y avait consacré par le passé plusieurs romans et un documentaire notable (Faire la parole en 2017), ressuscite pour ce nouveau long-métrage un conte oublié. Atarrabi et Mikelats est entièrement tourné en langue basque, conférant une sonorité délicieuse, pleine de mystères et de merveilleux à l’histoire miraculeuse de deux jumeaux. Leur mère, la déesse Mari, n’ayant pas d’instinct maternel, confie l’instruction de ses rejetons issus d’un père mortel au diable, qui, tout de rouge vêtu, se croit « à la pointe de la branchitude » en écoutant du rap et en appliquant les règles d’or des « bizenès scoules ». Atarrabi (Saia Hiriart) a la beauté innocente d’un portrait de Botticelli ; il veut partir et parcourir le monde, conscient qu’il deviendra mortel. Son frère, le malicieux Mikelats (Lukas Hiriart), est, quant à lui, satisfait de son sort ; il désire l’immortalité et rester auprès de son maître. Les frères se séparent, mais lorsque Atarrabi s’enfuit, le diable le punit en lui dérobant son ombre…
Arrimé au plaisir de la langue, au verbe allié de l’image, porté par cette simplicité qu’il a érigée en art dans toute sa filmographie et d’où jaillit une poésie et une drôlerie parfois caustique, Eugène Green fait parler une chouette, une pierre, un sanglier, une corde. Adepte du syncrétisme basque, son héros croise trois sylphides qui se transforment en nains, des esprits de l’eau et du vent revenant « d’une tournée étatsunienne pour illustrer la théorie du genre ». Le cinéaste français natif de « Barbarie » (entendez les États-Unis) comme il le dit lui-même, n’a rien perdu de son mordant à l’encontre du modèle de réussite américaine. Mais plus encore, au sein de cette harmonie basque, où le spectateur vit des instants musicaux somptueux (la chanson traditionnelle interprétée par Maddi Oihenart ou le fandango d’Antton Curutchet), son interprétation du mythe rassemble ses obsessions et ses thèmes chers. Ils sont ici conjugués aux phénomènes de la croyance et du surnaturel : l’innocence condamnée, les amours impossibles, le respect de la nature, la quête de la vérité et l’isolement vécus comme des moyens de rédemption. Par le systématisme des champs-contrechamps évoquant le hiératisme frontal de l’art chrétien byzantin, par le choix de décors et de costumes raffinés, par ses mélanges temporels joyeusement anachroniques et la beauté de plans fixes où défile un temps rassérénant, le champion des éclairages à la bougie en 35 mm qu’est Eugène Green met en place un univers spirituel ciblant une part vivante enfouie en nous et qui ne demande qu’à rejaillir. Atarrabi et Mikelats est ainsi porteur d’un message éclatant et aimable, accessible à tous. Il nous rapproche les uns des autres avec grâce.