L’Amérique des années cinquante compactée dans un lieu désertique révélateur .
L’auteur d’À bord du Darjeeling Limited (2007), de The Grand Budapest Hotel (2014) et de The French Dispatch (2021) continue, avec son onzième opus, de se surpasser dans l’audace narrative et le graphisme azimuté. Mais cette fois d’une manière surdimensionnée, proche de l’ésotérisme absolu, pour brosser un portrait des plus distanciés de la société américaine des Fifties. Partant de l’importance qu’avait acquise lors de cette décennie, aussi bien au théâtre qu’au cinéma, une nouvelle génération de metteurs en scène, d’auteurs et d’acteurs (Elia Kazan, Marlon Brando, Tennessee Williams, Arthur Miller), le scénario joue sur les deux tableaux en montrant en alternance la production d’une pièce ambitieuse et sa visualisation cinématographique. Le décor est donc tantôt celui d’une scène de théâtre, filmé en noir et blanc, où l’on monte une pièce, tantôt celui d’un vaste lieu désertique de l’Ouest américain, où figure une bourgade perdue, nommée Astroid City, car autrefois éventrée par la chute d’une météorite. Petit espace urbain dans lequel s’incrustent des établissements fortement stylisés, typiques de cette décennie (une station-service, un diner, un motel…). Le lieu est tout d’un coup occupé par divers personnages venus d’horizons différents (cinq jeunes surdoués récompensés pour leurs travaux scientifiques, une star qui s’efforce d’apprendre le texte de son prochain rôle, un père qui doit annoncer la mort de leur mère à ses enfants…). Ils sont soudain confinés dans leurs habitats respectifs à la suite d’un essai nucléaire inattendu dans les environs immédiats. Ce à quoi s’ajoute la visite inopinée d’un alien, fort gentil (contrairement à ceux qui envahissaient le cinéma fantastique hollywoodien d’alors), qui les laisse tous pantois et plus particulièrement les militaires chargés tant de la sécurité que du secret d’État. On le voit, nous sommes en pleine loufoquerie andersonienne, mais, comme toujours, fortement imprégnée de surréalisme dénonciateur, de poésie moqueuse et de philosophie angoissée. Ce portrait d’une époque où l’Amérique était convaincue d’avoir enfin réalisé son rêve s’offre comme un tremplin nous renvoyant au monde occidental d’aujourd’hui. Un monde dépourvu d’empathie à l’image de tous les protagonistes du film, qui réagissent froidement aux diverses situations et rencontres auxquelles ils sont confrontés. Une glaciation du comportement parfaitement jouée avec une retenue générale de l’expressivité par tous les interprètes du film, de Scarlett Johansson, Tilda Swinton, Margot Robbie à Tom Hanks, Matt Dillon et Edward Norton.
À l’heure où le cinéma souffre beaucoup d’un manque d’ambition artistique, où les recherches formelles audacieuses se font de plus en plus rares, il est indéniable que Wes Anderson est celui qui, aujourd’hui, ne cesse de s’imposer de trouver de nouvelles idées graphiques. Celles-ci nous surprennent toujours, mais, cette fois, il est tout aussi indéniable que son dernier film requiert au moins une seconde, voire une troisième vision pour être perçu dans toute son ampleur. L’accumulation de personnages très variés quant à leurs singularités, les dialogues souvent évasifs, l’accumulation d’incongruités déroutantes et de références cinéphiles pointues, la richesse de la palette photographique et celle de la bande sonore représentent un embouteillage de qualités qui rapidement empêche une adhésion immédiate à la narration. D’où une impression d’ésotérisme qui nous laisse dubitatif quant à l’évaluation de l’entreprise. En hommage à l’alliance du théâtre et du cinéma, le scénario de Wes Anderson (cosigné avec Roman Coppola) divise le film en trois actes. La dernière ligne de dialogue entendue à la fin du troisième, puis reprise dans la chanson de Jarvis Cocker qui accompagne le générique final, peut, du moins à nos yeux, représenter la quintessence de la raison d’être de ce film : « « You Can’t Wake up If You Don’t Fall Asleep « (On ne peut pas se réveiller si l’on ne s’endort pas ») !…