As Tears Go By

Premiers pas à Hong Kong

La première fois filmique de Wong Kar-wai est enfin visible ! Un polar urbain doublé d’une romance impossible, avec déjà la signature stylistique du futur grand cinéaste mondialement salué.

 

Sorti à Hong-Kong en 1988, présenté à la Semaine de la Critique à Cannes en 1989, le premier long-métrage signé Wong Kar-wai ne gagne pourtant les salles françaises qu’en ce mois de juin 2022, soit trente-quatre ans après sa création ! L’occasion de le regarder avec l’œil enrichi des neuf opus suivants du cinéaste, et de son parcours flamboyant. Le titre anglais mélancolique de cette œuvre initiale renvoie à la chanson éponyme de Marianne Faithfull et des Rolling Stones, mais ce sont d’autres standards pop qui la traversent : Slave to Love de Bryan Ferry, le temps d’une scène de club, et Take My Breath Away, composé par Giorgio Moroder et écrit par Tom Whitlock, initialement chanté par le groupe Berlin, et ici repris par la Hongkongaise Sandy Lam. Ce tube était aussi le titre phare du triomphe aérien Top Gun de Tony Scott, réalisateur au summum de l’esthétique des années 1980 (Les Prédateurs, Le Flic de Beverly Hills 2), dont Kar-wai s’inspire ici fortement, de néons en plasticité urbaine, avec son chef-opérateur du moment Andrew Lau, futur coréalisateur du polar Infernal Affairs – ressorti il y a quelques semaines -, avec aussi Andy Lau, et un autre futur acteur fétiche de Kar-wai : Tony Leung Chiu-wai.

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Toutes les grandes lignes de l’univers de WKW sont là. Cette variation libre de Mean Streets de Martin Scorsese (duo de petites frappes dans une mégapole moderne, romance, club de billard, lumière rouge) contient déjà l’ADN du futur auteur de Chungking Express, Happy Together et In the Mood for Love. Malaise et incertitude du Hong Kong bientôt rétrocédé à la Chine (en 1997), solitude dans la jungle urbaine, passion impossible. Dans une image aux dominantes rouges et bleues, entre coups de sang et froideur, appartements, restaurants, clubs et transports, les cadres alternent les plongées, contre-plongées, gros plans, espaces enfermés et profondeur de champ. Le filmage accueille également des ralentis, accélérations et décompositions temporelles. L’articulation totale est encore abrupte et parfois incertaine, mais la maîtrise épate (scènes d’action, attraction entre Wah et Ngor). Ce galop d’essai est bourré de charme, agrémenté du parfum nostalgique de la fin des années 1980. La cinématographie hongkongaise est alors en plein âge d’or, et le jeune Kar-wai, jusqu’alors scénariste et script doctor prisé, prend son envol en revisitant les genres, et en renouvelant les pas de ses aînés John Woo, Ann Hui, Tsui Hark ou Patrick Tam.

Pour incarner les protagonistes, un trio de jeunes vedettes énergiques, cinégéniques et en passe de devenir des stars : Andy Lau (Wah), Jacky Cheung (Fly) et Maggie Cheung (Ngor). Tous trois seront à l’affiche de l’opus suivant de Kar-wai. Mais ce sera le dernier à ce jour pour Andy. Jacky traversera la fresque épique Les Cendres du temps, avec aussi Maggie, devenue égérie du cinéaste, avant le point d’orgue In the Mood for Love, puis l’apparition dans 2046. L’accueil et le succès public d’As Tears Go By permirent au réalisateur d’accéder à un budget conséquent pour conduire son second long, Nos années sauvages. Sorti à Hong Kong en 1990 et en France en 1996, cette peinture lyrique et envoûtante bénéficie aussi d’une reprise hexagonale cette semaine. L’occasion parfaite pour revisiter en deux films les débuts d’un grand cinéaste.

Olivier Pélisson