Hirokazu Kore-eda tourne autour d’un homme, fils, frère, mari et père, pour poursuivre son exploration domestique et fine de la famille et de la société japonaise.
Il y a souvent eu l’enfance, au premier plan. Elle s’est un peu éloignée, ou plutôt elle s’est légèrement déplacée, replacée dans le cercle plus large de la famille, composée et décomposée : il y a trois films, maintenant, que la famille apparaît en nœud dramaturgique puissant dans le cinéma de Kore-eda. Mouvement de ressac d’un ressassement formant comme une trilogie sur ce même thème, mème conséquent répliquant la poursuite compliquée, souvent empêchée, du bonheur.
Tel père, tel fils ; Notre Petite Sœur ; Après la tempête : le cinéaste japonais fait et défait les liens de la famille, les noue et dénoue, les tend et distend, charge ses histoires de sacs de névroses, de règlements de compte, de silences, de larmes, de regrets, de secrets, de souvenirs, de rires et de confidences. Des montagnes de questions se soulèvent, avec des notations sociales à l’arrière-plan du désenchantement intime, sur la solitude d’un Japon contemporain, une société recouverte par un brouillard d’imperceptible mélancolie dont il soulève le voile avec la délicatesse d’une cruauté douce et, au fond, bienveillante.
Le couple, les parents, les enfants, les frères et les sœurs, mais aussi les voisins, les collègues : Kore-Eda observe la vie de famille et de bureau dans une banlieue sans âme et sans qualité menacée par un typhon qui viendra s’abattre sur la ville et laver, peut-être, le ciel sombre des conflits. La chronique du quotidien anodin est simple, tout en violence rentrée, conséquente et légère comme à son habitude, pleine d’ironie, d’humour à froid à la singulière fantaisie. Les choses sur l’amour et le désamour, la séparation et l’abandon, la vieillesse et la mort, se disent sans colère ni passion frontales, avec une joyeuse désespérance. Car enfin, rien ne va dans Après la tempête : le héros est un perdant, un pauvre type qui a raté sa vie, tout à la fois écrivain en panne d’inspiration, joueur endetté, père défaillant, mari quitté, fils indigne, frère amer, menteur, voleur. Le portrait serait surchargé, peint avec trop de lourde matière, sans cette mise en scène feutrée des émotions, mises en relief avec une lumineuse subtilité. Après la tempête, ne restent plus que des désillusions et des rêves impossibles. On devrait s’enfuir, l’histoire nous retient, avec son extraordinaire fragilité, que l’on accueille à bras ouverts, comme un beau film à la tristesse nonchalante.