En novembre 2016, alors que les Etats-Unis s’apprêtent à élire leur nouveau président, Claus Drexel se rend à Seligman pour tâter le pouls de cette Amérique pauvre et ordinaire. Enfin, presque ordinaire…
Après Jean-Baptiste Thoret et son We Blew It, c’est au tour de Claus Drexel de nous offrir sa vision sur l’« Amérique qui a voté Trump ». Et dans les deux films, une même ville à les honneurs : Seligman, Arizona. Présenté dans une séquence du film de Thoret, elle est au centre d’America. Si dans les personnages témoignant on retrouve notamment le même vieux barbier sympathique (mais qui vote Trump) que dans le film de Thoret, America s’étend plus sur cette ville, que Claus Drexel nous fait découvrir au travers notamment de beaux plans fixes presque photographiques. America présente une série d’habitants de Seligman, comme personnages types d’une Amérique profonde, rurale. Celle qui offrit à Donald Trump le poste suprême.
Main Street USA
Drexel nous laisse entendre qu’il a choisi Seligman presque par hasard, comme une ville parmi d’autres d’une Amérique déclassée. Comme on pourrait en trouver des centaines, en Arizona ou ailleurs. Mais Seligman est-elle si ordinaire que ça ? Déjà, et Drexel insiste beaucoup là-dessus, il est certain qu’elle ne l’a pas toujours été. Traversée par la Route 66, la mère de toutes les routes, Seligman a connu son heure de gloire. Une grande ville de passage, comme en témoigne ses nombreux hôtels. Autrefois des populations entières de laissés-pour-compte entamaient le grand voyage à travers des déserts de poussières vers l’eldorado californien. Certains ont planté leur tente sur le passage, trop fatigués pour aller plus loin, venant rejoindre les 400 habitants de Seligman. Mais aujourd’hui, la highway 66 n’est qu’un vieux souvenir un peu kitsch, quelque part entre le stigmate et le joyau archéologique. Remplacée par les aéroports et les freeways, la Route 66 n’attire guère plus à Seligman que quelques vieux motards et autres touristes internationaux. Ça suffit toutefois à faire sortir une ville de l’ordinaire, à donner comme on dit, un « dynamisme économique ». Les habitants le savent et portent tous fièrement casquette et T-Shirt « historical route 66 ».
Mais des villes le long de la Route 66, l’air de rien, Seligman en est peut-être la plus emblématique. John Lasseter dit s’en être inspiré pour créer Radiator Springs dans Cars. Il faut dire aussi que Seligman a le bel avantage de se situer à 1h30 de voiture du Grand Canyon, pile entre Phoenix et Las Vegas. Soit un stop de choix pour les road trip « Ouest Américain » des Tour Operator du monde entier. C’est, pour un parcours touristique classique, le bonus « Amérique authentique », sans détour, avec la route 66 comme caution Americana.
Avec America, Drexel nous offre une série de discours qui dressent un bilan simplifié de l’opinion politique pré-électorale white trash (avec ses poètes cow-boys, ses collectionneurs d’armes anti-immigration, ses vieux hippies et ses nihilistes), soulignée par de jolis plans de carte postale de cette Amérique redneck qu’on adore tous. Des discours parfois fascinants, variés, choquants ou raisonnés, et images lissées mais très belles font du documentaire sociologique de Drexel un film très efficace et pas désagréable. Mais il ne donne qu’une vision touristique de cette Amérique pauvre, très loin de celle des villes sinistrées de la Rust Belt où Trump a conquis le cœur des ouvriers licenciés de leurs usines délocalisées. C’est cette Amérique, de villes sans intérêts touristiques et qu’on ne voit jamais au cinéma qui a donné à un vague milliardaire télévisé les rennes du monde libre. Où sont les Lock Haven, Pennsylvanie ? Les Livingston, Montana ? Les Canton, Michigan ? Dans les urnes, partout. Au cinéma, nulle part. A la place, Seligman. Toujours et encore, Seligman.