Dans un village reculé des hauteurs portugaises, Cristèle Alves Meira nous convie au cœur d’un récit intime, où la chronique familiale rencontre le spirituel.
Si Alma Viva est un premier long-métrage, il est frappant de voir comment le film représente aussi un aboutissement pour sa réalisatrice. Passée par le théâtre, puis le documentaire, Cristèle Alves Meira a aussi mis en scène quatre courts-métrages, qui explorent chacun des territoires que son nouveau film réinterprète et prolonge. En 2014, avec Sol Branco, elle s’aventurait déjà dans les villages de montagnes du nord du Portugal et y filmait à hauteur d’enfants. Un point de vue qui est aussi au cœur d’Alma Viva, dans lequel le spectateur suit l’histoire à travers les yeux de Salomé, 9 ans. La petite fille est notre porte d’entrée dans ce récit familial qui se cristallise autour du décès de la grand-mère.
Dans son second court-métrage, Campo de Viboras, la cinéaste travaillait la question du surnaturel et de la croyance. Un doux fantastique, que l’on retrouve pleinement dans ce film où la grand-mère est considérée comme une sorcière à l’aura mystérieuse.
Enfin, Invisible Hero et Tchau Tchau nous présentaient des acteurs et actrices à nouveau convoqués dans son long : Duarte Pina et surtout Lua Michel, la fille de la réalisatrice, qui incarne Salomé.
Alma Viva, présenté l’an dernier à la Semaine de la Critique à Cannes, devient ainsi la consécration d’une œuvre déjà foisonnante, et d’une rare cohérence. Brouillant les frontières entre éléments fictifs et biographiques, Cristèle Alves Meira y place la famille au centre, que ce soit devant ou derrière la caméra.
Comme Salomé, Cristèle Alves Meira a, elle aussi, passé tous ses étés d’enfance au Portugal, dans le même village que celui où se déroule l’action d’Alma Viva. La réalisatrice est née en France de parents émigrés et le film interroge cette double appartenance. Les retrouvailles familiales à l’occasion de l’enterrement sont un moment durant lequel ceux qui sont partis du pays et ceux qui y sont restés se confrontent. Les uns ne comprennent pas le mode de vie des autres et les écarts, sociaux, économiques, se sont creusés. Devant les yeux ébahis de la petite fille, le recueillement laisse parfois place au déchirement face à l’incompréhension générale au sein de la même famille.
Lorsqu’une confrontation éclate dans le village, l’une des voisines lance à une autre : “Viens, on va régler ça entre femmes”. Une phrase pas si anodine pour un film qui, au-delà de la chronique familiale, s’accorde essentiellement au féminin. Les corps et visages marqués des femmes âgées s’opposent à l’allure angélique et juvénile de Salomé, composant un portrait sur trois générations, avec, au cœur du récit, la question de la transmission. Entre la grand-mère et la petite-fille, un héritage mystique passe de l’une à l’autre. De la sorcellerie pour les uns, une croyance dans les esprits pour les autres, chacun a sa manière de nommer ces forces indicibles. Plutôt que d’aller convoquer le cinéma de genre, Cristèle Alves Meira a eu la bonne idée de poser un regard naturaliste sur ce sujet, en filmant des scènes fantastiques mais quotidiennes, presque documentaires. Grâce à de très légers effets spéciaux ou à la musique toujours bien sentie d’Amine Bouhafa, le cinéma devient alors un moyen d’accompagner ce geste de sublimation des traditions locales.
Léo Ortuno