Tout va bien pour le commandant de gendarmerie Laurent : il est apprécié de ses collègues, heureux avec sa compagne et leur fille. Mais un jour, il laisse l’émotion prendre le pas sur son professionnalisme. Un coup de feu, et sa vie bascule. Imparfait, le huitième film de Xavier Beauvois rappelle pourtant ce qu’il y a de meilleur chez le cinéaste du Petit Lieutenant.
Dommage qu’Albatros soit un de ces films « en deux parties ». Il commence et s’installe comme une description réaliste du quotidien de la gendarmerie d’Étretat, et en particulier celui du commandant Laurent (Jérémie Renier), entre la caserne, les affaires courantes et sa vie de famille. Enchaînant les séquences comme les journées de la brigade, avec une mise en scène intelligente et sobre rendant hommage à ses personnages, la première moitié d’Albatros rappelle les meilleurs films de Xavier Beauvois – Le Petit Lieutenant et Des hommes et des dieux – et s’inscrit parfaitement dans cet héritage. Le cinéaste natif du Pas-de-Calais, qui a grandi quelques kilomètres au nord de la Normandie du film, sait comme personne raconter le quotidien, l’ordinaire. Ses personnages sont d’une rare justesse. Laurent, bien sûr, mais aussi son vieux collègue, qui se fait charrier à la caserne parce qu’il veut partir pour ses vacances en croisière sur un énorme paquebot. Ou encore Carole, la compagne du capitaine, qui ne voyait pas forcément le besoin de se marier, là, tout de suite, mais puisqu’il insiste tellement… Sans grand discours, sans théorie, Xavier Beauvois filme avec amour cette France des petites villes, de la campagne. Il sait comprendre ces « petites gens », bien qu’ils ne soient, dans le film comme dans la vie, ni plus petits ni plus grands que d’autres. Un quotidien jamais banal. Mais un événement dramatique va faire basculer l’existence ordinaire du gendarme. La seconde partie du film, narrant la descente aux enfers puis la résurrection du héros, est autant artificielle et attendue que le début est constamment tenu, affichant un réalisme quasi documentaire. Il y a pourtant suffisamment de péripéties dans la vie « normale » d’un capitaine de gendarmerie pour faire un film. Et on aurait aimé rester plus longtemps avec les gens de là-bas, ce monde agricole en crise et l’héritage marin, le rapport à l’océan et aux falaises, aux anciens qui partaient des mois en mer pêcher au large du Canada et ne connaissaient que l’hiver. Toutes ces histoires dont ils se souviennent quand ils visitent le musée municipal. Dommage que cette matière si passionnément humaine soit affadie par les rouages trop visibles du scénario.
Mais on pourra se consoler en poursuivant le voyage à Étretat à travers Un monde hors champ, le très beau livre que Dominique Thiery et Catel Muller ont consacré au tournage d’Albatros (Éditions de la Table Ronde). Riche en dessins et croquis, il est composé de notes de tournage et surtout d’une série de portraits – à chaque fois, une illustration et un texte – de ceux qui ont fait le film. Les grandes personnalités, bien sûr, les comédiens, le réalisateur ou la productrice Sylvie Pialat. Mais aussi la stagiaire mise en scène, l’ingénieur du son, la scripte, le gendarme qui joue son propre rôle ou même un pompier volontaire de la ville. Revisitant ainsi les codes du making of par le dessin et la littérature, les auteurs proposent un prolongement à la partie la plus passionnante du film, sa galerie de personnages et de situations, comme une escale supplémentaire dans ce que le cinéma de Xavier Beauvois a de meilleur.