Parmi les révélations cinématographiques des derniers mois, Charlotte Wells fait mouche avec ses débuts dans la cour du long-métrage. Son duo doux-amer ravit autant qu’il émeut. Un été pas comme les autres, pour un moment rare.
Film-événement du moment, Aftersun a réussi à se tailler une place au soleil, malgré son statut de premier long-métrage d’une réalisatrice encore inconnue. Une galaxie de prix et de distinctions auréole en effet l’aventure, depuis sa révélation sur la Croisette à la Semaine de la Critique, en passant par un Grand Prix à Deauville et six British Independent Film Awards, jusqu’à une nomination au prochain Oscar du meilleur acteur pour la vedette montante Paul Mescal. Chemin dément pour cette œuvre née pendant les études de l’Écossaise Charlotte Wells à la New York University, en prolongement de ses courts-métrages. L’auteure a plongé dans ses souvenirs personnels pour donner vie à ce duo père-fille de cinéma. Une immersion dans une mémoire trouée, où une jeune femme tente de reconstruire son lien à son paternel, à travers ses sensations de leur semaine de vacances en Turquie, vingt ans plus tôt.
Étonnant puzzle sensoriel que cette forme impressionniste, comme une variation jazz – la cinéaste parle de « flow » -, qui résulte d’un assemblage de moments, d’états et d’humeurs durant ces heures passées en tandem. La fillette de onze ans et son tout jeune père traversent des scènes du quotidien, entre farniente, baignades, bains de soleil, visites et activités. Il y a un balancement constant et harmonieux entre frontalité et retenue. La benjamine questionne, observe, quand l’aîné tente de l’accompagner du mieux qu’il peut. Lui est souvent empêché, par son plâtre au bras, par sa pudeur, par ses maladresses, par ses angoisses. Elle a l’impulsivité de son âge et de sa nature plus téméraire. Et puis, elle le filme avec son Caméscope, pour intuitivement imprimer le passé en marche, et garder des traces, tout comme Charlotte Wells crée son récit aujourd’hui. Une quête existentielle hypersensible se niche dans cette recréation par la fiction.
Avec son rythme alangui, ses effets stroboscopiques et ses doux télescopages, Aftersun a le goût d’un après-soleil amer, mais bouleversant. Amer, car la réalisatrice sonde l’impalpable désir d’une adulte de défricher le mystère qu’est son père, entre bienveillance du regard et tristesse du passé enfui. Bouleversant, car ce chant d’amour naît à l’écran d’une gamine au moment charnière de la fin de l’enfance, entre jaune soleil et bleus à l’âme. Charlotte Wells a trouvé en Frankie Corio une interprète épatante d’aplomb et de joie sans artifice. L’alchimie avec son partenaire Paul Mescal embrase progressivement l’écran. Révélé par la série Normal People, ce dernier fête tout juste ses vingt-sept ans, et réussit à composer ici un jeune colosse aux pieds d’argile. Sa maîtrise de la vulnérabilité saisit, face à sa cadette. Sophie et Calum impriment les rétines, de bain de boue complice en impossibilité de chanter ensemble Losing My Religion de R.E.M. Sans rien perdre en chemin, bien au contraire, Charlotte Wells a trouvé sa voie.