Un joaillier juif, victime du décret antisémite de 1942, confie sa boutique à son employé, moyennant un double contrat aux conséquences dramatiques.
Adapté de la pièce à succès de Jean-Philippe Daguerre (quatre Molière en 2018), le cinquième film de Fred Cavayé, après Pour elle (2008), À bout portant (2010) ou Radin ! (2016), se révèle à la fois prenant et maladroit. L’aspect positif peut l’emporter, car le scénario, sensiblement différent de l’intrigue du texte original, analyse quasi cliniquement le comportement d’un exécrable opportuniste français sous l’Occupation allemande, à l’heure où la loi antisémite de 1942, spoliant la communauté juive de tous ses biens, a été décrétée. François Mercier (originellement nommé Pierre Vigneau), honnête et serviable employé d’un joaillier juif au talent singulier et reconnu, va vite profiter de la situation. Dans l’impossibilité de rejoindre sa famille partie dans la zone libre (en Suisse dans la pièce), alors qu’il a vendu sa boutique à Mercier, Joseph Haffmann se retrouve contraint de rester caché dans la cave. Mercier accepte, mais en contrepartie demande à son employeur de faire un enfant à sa femme, car lui-même est stérile (requête présentée avec un humour satirique dans la pièce et de manière beaucoup plus dramatique dans le film). Le « deal » accepté, les bijoux originaux de Haffmann rencontrent très vite un grand succès auprès d’un officier de la Wehrmacht (l’ambassadeur d’Allemagne dans la pièce). Les ventes augmentent, ce qui conduit Mercier à traiter son ancien patron comme un véritable esclave de la joaillerie.
On ne peut nier que la tension exercée sur le spectateur par l’insupportable infamie de Mercier fonctionne fort bien tout au long du film, grâce au jeu tout en retenue de Daniel Auteuil (Haffmann) et celui, parfois un peu trop appuyé, de Gilles Lellouche, dirigé pour la quatrième fois par Fred Cavayé et très à l’aise avec ce rôle de crapule, comme la France occupée en a connu beaucoup et que son cinéma montre avec parcimonie (La Traversée de Paris, Claude Autant-Lara, 1956 ; Lacombe Lucien, Louis Malle, 1974).
Autre aspect positif de ce scénario, son récit très aéré par rapport au texte initial, qui se limitait à un huis clos se déroulant dans les deux parties de l’espace scénique : la cuisine et la cave. Dans l’adaptation de Jean-Philippe Daguerre et Sarah Kaminski, l’action se passe dans plusieurs lieux variés, outre la boutique, la rue où elle figure, un cabaret où l’officier de la Wehrmacht (Nikolai Kinski, fils de Klaus) reçoit ses invités (dans la pièce, l’ambassadeur allemand est reçu chez Mercier en présence de Haffmann), une « aération » qui procure un rythme bien soutenu à cette adaptation cinématographique.
L’on peut toutefois reprocher à celle-ci, d’une part, son découpage trop classique, entièrement soumis au jeu des comédiens à force de plans rapprochés, qui mettent aussi bien en valeur certains beaux regards, perdus (Auteuil) ou désemparés (Sara Giraudeau, prix d’interprétation là l’issue du dernier Festival de Sarlat), que des comportements outranciers trop appuyés (les colères de Mercier). Et, de l’autre, le côté malheureusement très artificiel de certains décors, comme celui de la devanture de la joaillerie, tout droit sorti d’un film français des années cinquante.
Un film imparfait certes, mais qui mérite d’être vu, ne serait-ce que pour son courage de dénoncer cette manière dont certains Français ont pu faire preuve, entre 1940 et 1944, dans un premier temps, de la plus grande honnêteté (Mercier ne veut, tout d’abord, en aucune façon, nuire à son patron), puis, dans un second, de mettre leur intérêt personnel au-dessus de toute morale, quitte à s’adonner à la pire des ignominies. Un courage qui a sans doute contribué à son attribution par le public du Festival de Sarlat de sa Salamandre d’or.
Michel Cieutat