Un homme de dos regarde dans le miroir son reflet de dos. Ce tableau de Magritte ouvre et clôt ce superbe film gigogne. Où l’on se perd avec délice.
Quatrième long-métrage de Kei Ishikawa, mais le premier à sortir chez nous, A Man est une expérience cinématographique troublante. Une plongée dans les apparences… trompeuses, forcément trompeuses. On se perd avec délice dans ses récits gigognes, enchâssés les uns dans les autres et qui ne révèlent que ce que l’on veut bien y voir. Placé sous l’égide de la peinture de René Magritte, La Reproduction interdite, montrant un homme brun de dos, vêtu de noir, se regardant dans un miroir où il apparaît de dos également et non de face. Dès cette ouverture, où l’ombre d’un homme qui semble sorti du tableau passe et s’installe dans un bar, ne révélant à son tour que sa nuque et la masse sombre de son veston, le vertige nous prend.
Pourtant, ce qui suit tient de la romance, puis du mélo et finalement du polar : une rencontre, dans une petite ville japonaise où les langues vont bon train, entre Rie, jeune divorcée mère d’un petit garçon, et Daisuke, jeune homme fraîchement débarqué dans la région, que les habitants trouvent « étrange ». Suite, quelques années plus tard, à un événement tragique que nous ne révélerons pas, un troisième personnage apparaît. C’est Akira Kido, l’avocat d’origine coréenne qui prononça le divorce de Rie. Inlassablement, il mène l’enquête sur ce deuxième mari, cet homme doux qu’elle a épousé, qui est devenu le père de son fils et lui a donné une petite fille.
Difficile d’en dire plus sans dévoiler la beauté et l’intelligence du scénario. Sa délicatesse à enchaîner les intrigues, intimement liées, voire emmêlées. C’est un film sur la vie et les récits qu’on en fait. Sur la façon dont les êtres qu’on aime, bien réels ou fuyants, fantômes ou menteurs, les habitent et nous hantent. Comment on raconte la disparition d’un enfant. Comment un arbre peut vous faire penser à un homme. Comment le regard des autres – méprisant, condescendant ou accusateur – peut vous rendre désireux de partir. Au propre ou au figuré.
Film calme traversé d’orages, peuplé d’images dans les images, de reflets dans les reflets, A Man est interprété avec grâce et folie par des acteurs presque impassibles et pourtant vibrants. Ce grand film douloureux et retors dit finalement que la fiction peut vous sauver. Au moins pour un temps.
Isabelle Danel