Avec A Ghost Story, David Lowery a réussi un film vertigineux et doux qui dit le séisme du deuil, la puissance du souvenir et la réalité de l’invisible.
Vient-on de voir A Ghost Story, le troisième film de David Lowery, Prix du Jury et Prix de la Critique au dernier Festival du Cinéma américain de Deauville, qu’un troublant phénomène se produit : le désir intense de revoir aussitôt cette poignante et douce élégie, qui avec une grâce infuse, une téméraire simplicité, pose la seule question existentielle qui vaille : que reste-t-il de nous lorsque nous ne sommes plus là ? Et y répond, sans beaucoup de paroles : l’amour qu’on nous a porté. Il est C., elle est M., peu importent leurs noms, ils sont les amants universels. C. Pour Casey Affleck, M. pour Roney Mara qui les incarnent (le terme, on le verra est plus ou moins mal choisi), tous deux remarquables et déjà à l’affiche du néo-western affectif de Lowery, Les Amants du Texas.
C. et M. , blottis dans la pénombre de leur lit, dans la chaleur de leur tendresse. L’accident. M., dévastée, devant la table mortuaire. Une main indifférente soulève le drap blanc sous lequel repose C., qui soudain se lève. Très simplement son linceul est devenu son vêtement, il est désormais un fantôme comme le dessinent les enfants, avec deux trous noirs pour les yeux. On ne se demande pas un seul instant comment et pourquoi on y croit, c’est ainsi. On va suivre l’errance pensive, expressive, du fantôme de C. contemplant le chagrin de sa compagne, et se déplaçant dans l’espace et le temps, l’espace de la vie réelle et le temps réinventé des souvenirs. Il y a de longs plans-séquences – dont un que certains, à Deauville, ont trouvé « exigeant », mais qui dit tant du vide que l’on remplit comme on peut. M. effondrée, blottie sur le sol de sa cuisine et mangeant sans faim pendant de longues minutes un gâteau triste, à en vomir… Dans la lumière blonde d’un Texas inédit, dans des paysages indécis, on va aller de l’évocation insolite de l’Amérique des pionniers, aux tours de Manhattan, on va voir des maisons que l’on aurait tant voulu ne jamais quitter, une maison où M., enfant, glissait des mots dans les fentes des murs pour, disait-elle, « qu’un petit bout de moi m’attende, si je revenais ». Des maisons détruites, reconstruites, où se dressent des arbres de Noël, et d’ailleurs, un petit garçon est là, le seul à « voir » le fantôme et à le menacer de son pistolet en plastique…Une chanson revient souvent et vous serre le cœur et vous fait du bien. Sous les draps blancs de nos fantômes personnels palpitent désormais à jamais les images d’un film endeuillé, mais étrangement consolateur.