La caméra organique de Jonas Carpignano est de retour avec le second tome d’une trilogie initiée avec Mediterranea. Une ode au passage à l’âge adulte, et une peinture fascinante d’un Rom calabrais. Documentaire et fiction. Réalisme et poésie. Énergie et émotion. Avec l’incroyable ado Pio Amato.
Organique. Qualificatif de tout le cinéma du trentenaire Jonas Carpignano. De la création comme d’une glaise sans cesse travaillée et renouvelée. Comme des films gigognes, ses courts et longs-métrages se répondent et se prolongent. Avec une énergie de battant. Son premier long Mediterranea s’inspirait de son court A Chjana. A Ciambra puise ses racines dans son autre court… A Ciambra. Une éponymie nourrie et transcendée par le temps, et collée à ses personnages. Et toujours soutenue par Cannes, à la Semaine de la Critique, qui l’a révélé avec A Ciambra version courte, puis avec Mediterranea, puis en l’accompagnant avec l’atelier Next Step pour l’écriture de cette Ciambra version longue, présentée en mai dernier à la Quinzaine des Réalisateurs, où elle a décroché le Label Europa Cinemas.
Le cinéaste italo-américain, né à New York d’un père transalpin et d’une mère –afro-américaine, n’a de cesse de filmer l’ici (Italie) et l’ailleurs (Afrique, Roumanie, Bulgarie), réunis en un seul lieu, répété, la ville populaire de Gioia Tauro en Calabre, en bordure de mer Tyrrhénienne. Une portée documentaire puisque la plupart des acteurs ne sont pas professionnels – à commencer par la propre famille du jeune Pio Amato -, et qu’il les a convaincus petit à petit, depuis ses courts-métrages. Faire entrer le réel dans la fiction, et aller au-devant du réel pour mieux en témoigner. La frontière est poreuse et s’annule, comme le désir même d’abattre les murs et les lignes infranchissables. Comme le personnage de Pio, qui passe son temps à traverser la ville, les quartiers, les communautés, et qui est le lien lui-même, de son quartier ghetto véritable A Ciambra au reste du territoire.
Second rôle épatant dans Mediterranea, l’ado tzigane porte ici l’aventure, et l’immigré burkinabé Koudous le rejoint cette fois au second plan. Le corps adolescent est à l’affût, gigote, trafique, fait circuler l’argent, et son visage en pleine mutation incarne l’aplomb comme le désarroi masqué. Comment devenir un homme, dans un monde où l’on joue des coudes, où les aînés s’absentent, où exister, c’est parfois trahir. Carpignano emballe encore par sa maîtrise et sa vivacité, avec ce nouvel épisode de saga humaniste et sans fard. Filmer le passage, la rudesse et la bienveillance malgré tout. Un défi ambitieux que Martin Scorsese a décidé de défendre en devenant producteur exécutif du projet. Bel hommage d’un aguerri à un junior. Et bel encouragement à continuer, avec cette force de vie qui habite chaque plan de ce lumineux séjour italien. En attendant le prochain opus annoncé pour clore le triptyque.