Ce portrait d’une adolescente en Calabre brille par sa maîtrise et sa tension. Jonas Carpignano creuse son sillon de conteur humaniste, et confirme l’ampleur grandissante de son cinéma.
Jonas Carpignano termine avec A Chiara le triptyque cinématographique consacré à sa ville de résidence calabraise de Gioia Tauro. Après les migrants africains au cœur de son premier long-métrage Mediterranea (Semaine de la Critique 2015), puis la communauté rom dans A Ciambra (Quinzaine des Réalisateurs 2017), c’est la mafia locale qui occupe le terrain de ce nouvel opus lancé à la Quinzaine des Réalisateurs 2021. Mais, plus que dans un film de milieu traité comme un thriller ou du cinéma de genre, c’est par le fil familial que la fiction se tisse. Chiara est le prénom d’une adolescente de seize ans, qui découvre un beau jour, à la disparition soudaine de son père, qu’il appartient à la pieuvre locale, la ’Ndrangetha. Curieuse et déterminée, elle va braver les interdits assignés à son âge, et tout faire pour retrouver la trace du pater. C’est l’histoire d’une affirmation par le lien viscéral et l’attachement profond.
La grande force du cinéma de Carpignano est d’utiliser le filtre du romanesque pour raconter un monde. Une vérité émerge d’un jeu dense entre réel et fiction. Le cinéaste fait à nouveau tourner des non-comédiens, à commencer par la jeune Swamy Rotolo, repérée depuis des années, et qu’il entoure ici de la véritable famille de la donzelle. Le terreau géographique et humain nourrit donc l’aventure, et les liens souterrains avec la réalité abreuvent les images. Sans jugement, ni complaisance, ni condescendance, la caméra rend justice à l’humanité populaire, inscrite malgré elle dans un déterminisme dû aux liens du sang. Chiara s’y affirme avec l’aplomb de sa jeunesse. Un aplomb qui transcende l’inconscience et le danger, et fait du personnage une véritable clairvoyante. Chiara sent, questionne, devine. Elle prend les devants et peut retrouver le fil qui la lie à son géniteur.
La conviction et l’amour guident ce troisième long-métrage, qui prouve le brio grandissant de son auteur. Son regard embrasse avec sensibilité et tension l’univers qu’il recrée. Un univers constitué aussi de fidélité, à sa cité, à sa ligne humaniste, et aux deux interprètes protagonistes de ses précédents films, qui passent ici dans de petits rôles toujours attitrés à leurs anciens personnages : Koudous Seihon en Ayiva, et le jeune Pio Amato – aperçu récemment dans le James Bond Mourir pour attendre -… en Pio. La maîtrise globale saisit, de l’ampleur de la séquence inaugurale d’anniversaire aux scènes plus intimistes, comme les retrouvailles dans la brume et la pluie. Souvent serrés sur les visages, les yeux et les grains de peau, les cadres assurés sculptent progressivement une destinée qui fait vibrer l’écran. A Chiara est la vision d’une avancée. Celle d’un être en mutation, qui se fraie son chemin avec une grande lucidité. Comme celle de Jonas Carpignano face à sa route de cinéaste.
Olivier Pélisson