S’appuyant sur les souvenirs d’un membre de sa famille, Sam Mendes narre l’histoire d’une mission quasi impossible, menée par deux soldats britanniques, pour empêcher la mort de 1600 de leurs camarades. Une prouesse technique impressionnante, mais dépourvue d’engagement humaniste.
Avant de devenir le réalisateur à succès d’American Beauty en 1999 et des deux derniers James Bond, Skyfall (2012) et 007 Spectre (2015), Sam Mendes s’était distingué sur la scène britannique, où il avait monté toute une série de pièces très variées, allant de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams (1995) à Cabaret de Joe Masterhoff, Fred Ebb et John Kander (1998), Oncle Vania d’Anton Tchekhov (2002) ou encore La Nuit des rois de William Shakespeare (2000), qui lui octroya d’être honoré par la reine Elizabeth II du titre de Commander of the Order of the British Empire. Une reconnaissance qu’il connut dès son premier film, American Beauty, qui lui valut l’Oscar et le Golden Globe du meilleur réalisateur. À ce jour, ses films ont obtenu neuf Oscars, sept Golden Globes et dix BAFTA. Dans l’attente des Oscars qui devraient pleuvoir sur son dernier opus, 1917 (2020).
Deux caractéristiques fondamentales se distinguent dans ses huit films : l’éclectisme des genres traités et une grande importance accordée à la recherche formelle. Deux singularités pour lui fondamentales, puisqu’elles ont toujours été mises au premier plan de ses mises en scène théâtrales, où le souci de rafraîchir les concepts anciens est primordial à ses yeux, tant pour ses comédies musicales (Gypsy, 2004) que pour ses tragédies shakespeariennes (Le roi Lear, 2014). Après un film sociologique (American Beauty), un film noir (Les Sentiers de la perdition, 2002), un film de guerre (Jarhead : la fin de l’innocence, 2005), deux drames psychologiques (Les Noces rebelles, 2008 ; Away We Go, 2009) et deux James Bond, Sam Mendes revient au film de guerre et, bien sûr, respecte ses deux impératifs de création.
Éclectique il est toujours, puisqu’il change d’époque et, après la guerre du Golfe, traite d’un épisode qui s’appuie sur plusieurs histoires, autrefois relatées à ses petits-enfants par son grand-père, Alfred H. Mendes. Soucieux de recherches formelles, il l’est encore, puisqu’il a décidé de filmer son long récit en un seul plan-séquence, tout au moins en nous donnant l’impression que ce film, de près de deux heures, n’en présente qu’un seul (le cinéphile pourra repérer quelques coupes évidentes dans cet impressionnant travail, dû au chef-opérateur attitré de Mendes, et des frères Coen, Roger Deakins). L’épisode montré est celui d’une mission confiée à deux soldats, qui, pouvant profiter du retrait des troupes allemandes derrière la ligne fortifiée, baptisée « Hindenburg », quatorze kilomètres en amont, doivent transmettre un ordre annulant une offensive alliée, vouée au massacre dans le Pas-de-Calais. Ayant opté pour le plan-séquence, Mendes donne un ton original à son récit, puisqu’il est entièrement traité au présent, tel qu’il est vécu par les deux protagonistes. Parsemée de petits incidents, mais aussi de graves et douloureux obstacles, la mission est de la sorte rendue souvent captivante. Cependant, même si certaines remarques faites par des officiers supérieurs sur l’aveuglement des va-t-en-guerre et sur la vaine multiplication des contre-ordres présentent une certaine critique, nous sommes loin de la virulente condamnation par Stanley Kubrick de la boucherie que fut la Première Guerre mondiale dans Les Sentiers de la gloire, qui, lui aussi, présentait des audaces formelles remarquables en 1958. Trop de prouesse technique finit par l’emporter sur ce qui aurait dû être une autre condamnation de cette manie qu’ont les hommes de se glorifier le fusil à la main.