Chronique militante dans l’univers du sida et d’Act Up, le Grand Prix du Jury à Cannes est resté la Palme du cœur 2017 pour le public : 120 battements par minute de Robin Campillo suit avec maestria le tempo de la survie…
Après Eastern Boys (2013), Robin Campillo poursuit dans 120 battements par minute des thèmes qui lui sont proches. La constante de l’homosexualité trouve écho au militantisme acharné via une reconstitution minutieuse des actions et des débats d’AG d’Act Up des années 1990. Et si une idée peut caractériser le fond et la forme de son film, c’est bien celle de l’urgence. Omniprésente dans cette œuvre fleuve de deux heures vingt, l’urgence est celle qui pousse aussi bien le réalisateur que sa troupe d’acteurs formidables à prendre à bras le corps la lutte contre le sida. L’urgence, c’est celle de s’engager politiquement et d’agir comme un ultime moyen de survie, une tension comme un couteau sous la gorge, comme une pulsation vitale. Et Campillo avance ainsi, sans nous exonérer des moindres détails, qu’il s’agisse de décortiquer la confrontation des langages, la recette de la fabrication du faux sang, les douleurs et les angoisses d’un taux de T4 en chute libre.
Cette reconstitution aux décors parfaits joue de cette courbe ascensionnelle impérative, passant systématiquement du collectif au particulier, là où l’amour et les corps souffrent, là où une génération qui danse encore sur le bpm des rythmes électroniques suffoque, sachant qu’elle va mourir. Cette urgence, c’est avant tout celle d’un quatuor d’acteurs passionnants qui la revendique comme un étendard arc-en-ciel, totalement immergés, terriblement tendus, extraordinairement convaincus : Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel et Antoine Reinartz. Ils sont les héros inoubliables de ce chant de mort qui libère paradoxalement un optimisme rassérénant chez le spectateur. Dans un monde contemporain bousculé, Robin Campillo (Grand Prix du Jury) met en effet en exergue combien l’implication des êtres est indispensable lorsque ces derniers sont directement menacés et luttent pour une survie de chaque instant.
Plus encore, le film fait la démonstration que, dans ce cadre, ces individus se dépassent eux-mêmes, quitte à devenir les spécialistes scrupuleux des avancées médicales, prompts à dénoncer tel lobby pharmaceutique ou telle attitude politique complaisante. Ce militantisme les pousse à s’enrichir individuellement et collectivement, à étudier, enquêter, agir, avec un courage qui draine la compassion envers l’autre et un sens aiguisé de la réalité forçant l’admiration. En ce sens, le message de Robin Campillo, qui ne se cantonne pas à la géographie d’une simple communauté et minorité sexuelle, témoigne bien de la dignité de la posture au combat, à l’image d’une énergie vitale fondamentale et exemplaire. Indéniablement, ce discours aura fait vibrer la corde sensible de la plupart de ses contemporains à Cannes et il fera de même à présent dans les salles : à raison, il s’agit là d’un cinéma dense, utile, quasi de salubrité publique.