Une prison de femmes, à Rome à la fin des années 1950. Anna Magnani et Giulietta Masina, ces deux géantes, s’affrontent dans leur seul et unique film ensemble. Version inédite, restaurée et augmentée.
Le film s’ouvre et se ferme sur l’arrivée d’un fourgon d’où sortent de nouvelles prisonnières. Derrière les barreaux, ces femmes s’organisent entre elles, certaines dominent, d’autres sont dominées, toutes attendent la libération… quoique. L’image en noir et blanc est belle. Le huis clos est respecté et l’histoire navigue entre fable cyclique et chronique de la vie carcérale, tout en se concentrant sur deux personnages principaux : Egle, figure de proue de sa cellule, vénérée et crainte par toutes ; Lina, oie blanche accusée à tort d’un vol commis par le voyou dont elle s’est épris, éternelle éplorée fraîchement débarquée.
Adapté en 1959 d’un récit très documenté d’Isa Mari par la grande Suso Cecchi d’Amico, coscénariste (entre autres) de Senso de Luchino Visconti et du Pigeon de Mario Monicelli, le scénario est attendu, mais bien mené, et il ménage quelques scènes fortes, comme celle, délicate et subtile, de la rencontre entre Egle et Lina autour de la fabrication du café ; ou celle, drôle et poignante, où Egle et la jeune Marietta hurlent des prénoms masculins pour tenter de deviner celui du jeune homme qui passe chaque jour dans la rue… Le film, bavard, vociférant parfois (le niveau sonore est impressionnant !), se déploie en longs plans- séquences élégants destinés à capter la performance des deux monstres sacrés qui l’habitent.
Anna Magnani et Giulietta Masina. La première a triomphé dans Rome, ville ouverte, L’Homme à la peau de serpent ; la seconde a bouleversé les foules dans La Strada, Les Nuits de Cabiria. L’écriture joue sur les images des deux actrices, déjà très ancrées dans l’imaginaire cinéphile de l’époque. La brune et la blonde, la coriace et la tendre, l’extravertie et la timide… Et elles s’y engouffrent sans hésitation. On dit que le tournage fut houleux, que l’affrontement permanent empêcha parfois d’avoir dans le même cadre ces deux génies. On dit aussi que la Magnani, arrivée sur le tournage, selon les mots de Renato Castellani, avec « la voracité d’un lion », mangea toute crue la Masina. Anna récolta d’ailleurs tous les prix d’interprétation possibles pour ce film, tandis que Giulietta repartit bredouille.
À l’image, pourtant, les deux comédiennes sont épatantes. Et si Magnani, ses yeux furibards et son corps tangible sous la combinaison noire, dévore tout sur son passage et s’impose dans chaque plan, même en silence, il faut reconnaître l’extraordinaire composition de Masina, au départ dans un registre déjà connu (la pauvre petite chose), et dont le personnage évolue, par mille détails, vers une tonitruante prédatrice. L’enfer sur le plateau a donné des miracles et, pour ce duo unique d’actrice inouïes, L’Enfer dans la ville vaut le déplacement.