Adapté du roman de Camille Laurens, Celle que vous croyez tisse un récit à tiroirs haletant, avec en son centre, Juliette Binoche, lumineuse en femme mue par le désir.
C’est l’histoire d’un double vertige. Celui qu’éprouve Claire, 50 ans, lorsqu’elle prend l’identité d’une jeune femme de 24 ans pour épier son ancien amant sur les réseaux sociaux, et rencontre virtuellement Ludo, dont elle tombe amoureuse. C’est aussi celui qui saisit et tourmente ce jeune homme épris d’un avatar sans le savoir.
Sur la base de cet argument très contemporain, Safy Nebbou et sa coscénariste Julie Peyr tressent un récit labyrinthique où réalité, fantasmes et fiction se font la courte échelle. Leur articulation est habile et maîtrisée. Peut-être même un peu trop, car cette narration à rebondissements, comme on en voit peu dans le cinéma français, fait aussi des pirouettes aux coutures soulignées qui empêchent parfois le mystère et son charme de s’installer durablement. Celle que vous croyez est un film frontal : c’est son parti-pris assumé et peut-être aussi sa limite, car tout y trouve une résolution, ce qui atténue pour le spectateur la sensation de trouble induite par le sujet.
Toujours est-il que l’on suit la trajectoire de Claire/Clara avec intérêt et plaisir, et qu’une fois encore, Juliette Binoche impressionne par sa présence, son énergie, sa sensualité. Cette actrice passionnante est une exploratrice – rappelons qu’elle danse, peint, travaille sa voix, prépare ses rôles avec des coachs, semble envisager son travail comme un formidable moyen d’appréhender les grandes questions humaines, organiques, existentielles et spirituelles. Dans le récent Doubles Vies d’Olivier Assayas, elle donnait corps aux questionnements du cinéaste sur la digitalisation de notre monde et ses conséquences. Dans ce film-ci, elle incarne une femme aux prises avec la perte d’identité et l’appel des sirènes que constituent les réseaux sociaux et leur cortège de connexions illusoires. Juliette Binoche est une actrice et une femme connectée au temps présent. Dans ce rôle, toujours sur le fil entre détresse et jubilation, elle est vibrante, belle et émouvante.
Face à elle, la trop rare Nicole Garcia, charismatique en psy troublée, et François Civil, séduisant et sensible dans le rôle de l’amoureux en suspens, enrichissent ce casting impeccable. De leur part, comme de celle du réalisateur, émane une jubilation à tricoter ce thriller psychologique et à incarner, non pas des êtres menacés par l’aliénation, mais des hommes et des femmes désirants.