Après la magnifique Tortue Rouge de Michael Dudok de Wit, un nouveau film d’animation virtuose fait l’éloge de la solitude en bord de mer, et se confronte avec une maturité éblouissante à la question de la fin d’une vie.
C’est l’histoire d’une petite vieille dont l’horloge a oublié de marquer le passage du temps. Usée comme elle par la répétition des jours, des heures et des minutes, elle lui a fait rater le dernier train de la station balnéaire où elle passait l’été pour rentrer à la ville. Louise est maintenant seule, dans une ville désertée, battue par les premières tempêtes d’automne, puis par la froideur de l’hiver. Seule, en compagnie d’un chien sorti de nulle part qui se met à lui parler avec la voix très humaine de Jean-François Laguionie lui-même, et avec ses souvenirs, remontant des profondeurs d’une existence que l’on devine malheureuse (« On m’a enfermée chez les sœurs, on m’a mariée »). Oubliée de tous, Louise organise alors sa vie de naufragée.
Il ne faudrait pas se méprendre et croire, à la lecture de ce synopsis, que le nouveau film de Laguionie soit le récit lugubre d’une lente agonie sous la grisaille de la côte normande. Car il s’agit bien au contraire d’une ode panthéiste à la (sur)vie. « La vie est partout ! Comme si elle avait attendu le départ des vacanciers ! » s’émerveille Louise, qui, passée son angoisse légitime de vieille femme désemparée face aux éléments, célèbre son abandon par un vibrant « Enfin seule ! », selon les propres termes de sa pensée vagabonde, portée par la voix lasse et néanmoins espiègle de Dominique Frot, au timbre abrasif, rare dans le monde de l’animation. D’abord craintive, sa solitude se fait canaille par nécessité, lorsqu’elle force les maisons verrouillées pour trouver de quoi se nourrir, puis par amusement et coquetterie, lorsqu’elle caillasse la vitrine d’une boutique de luxe pour se parer des plus beaux manteaux, et se joindre aux fantômes qu’elle laisse venir à elle, sur les planches de son royaume hivernal.
La grande nouveauté dans le style de l’auteur de La Traversée de l’Atlantique à la rame est son retour à un dessin artisanal, cinq ans après Le Tableau, à un cinéma qui laisse affleurer la matière, que ce soit celle des traits ou encore de la feuille recueillant ses visions. Cette densité physique retrouvée semble autoriser à Laguionie toutes les expérimentations. Au fil des minutes, le film, commencé comme une estampe, laisse dériver son tracé au rythme d’une langueur hypnotique, jusqu’à frôler l’abstraction. Une ligne d’horizon tracée d’un coup de gouache évoque les toiles bichromes de Rothko, et un coucher de soleil embrasant le papier convoque le souvenir de certaines aurores de Turner.
Laguionie sait capter du bout de son fusain les petits pas mesurés et craintifs des anciens lancés à l’assaut d’efforts physiques aussi anodins en apparence que monter une côte, ou marcher sur un sable trop mou, et cette déambulation tâtonnante a la beauté des carnets intimes de grand-mères.
Ceux que l’on retrouve par hasard dans un petit carton recouvert de poussière lorsque est venu le temps de vider leur appartement après leur départ.