L'Écume des jours
On aura ouvert le roman. Avant ou après. L’Ecume des jours de Michel Gondry ne peut aller sans son livre. Le film existe, entièrement vrai, parce que Boris Vian a imaginé l’histoire d’un bout à l’autre. Il en a écrit les visions conséquentes, fantasques et mélancoliques. Un chef-d’œuvre de poésie dada et de fantaisie amère, qui mêle et un fol amour et une fable politique, dans un drôle de monde où s’effondrent les utopies. Ce monde sombre, jusqu’à la nausée. Le mal contamine même le cœur des amoureux, d’une fleur belle et mortelle, qui grandit comme un monstre tentaculaire. Boris Vian obtient des rires, il obtient des larmes. Ça balance comme une mélodie de Duke Ellington. Le film n’aurait pas existé sans le roman et ce n’est pas faire injure à Michel Gondry, savant cinéaste de l’invention, que de signer ce renvoi à l’auteur et à l’œuvre. C’est que le livre, au fond, est lui-même puissant objet visuel, hors de l’ordinaire de la littérature. On relira, pour s’en convaincre, les mots accrochés par Boris Vian à l’avant-propos : « Sa réalisation matérielle proprement dite consiste essentiellement en une projection de la réalité, en atmosphère biaise et chauffée, sur un plan de référence irrégulièrement ondulé et présentant de la distorsion ». L’Ecume des jours, le film, illustre au pied de la lettre ce roman-cinéma pour les yeux. Michel Gondry image avec sa science exacte des rêves, fidèle, fou, frère de Vian.