Avec The Homesman, son beau film en compétition à Cannes, Tommy Lee Jones revisite les codes du western et s’attaque au mythe américain de la Frontière. Nanti d’un casting impeccable, son convoi inhabituel, très féminin, interroge les limites. Toutes les limites…
S’il n’en reste qu’un, ce sera lui, Tommy Lee Jones, gaillard texan au sang mêlé (gallois et indien), qui n’aime rien tant qu’arpenter le genre crépusculaire du western, avec son accent roots à couper au couteau, pour mieux tenter de le ressusciter. De fait, neuf ans après Trois Enterrements, son premier long-métrage – sa force tranquille, sa beauté rude, son élan romanesque -, voilà que l’acteur-réalisateur dégaine The Homesman, nanti des mêmes qualités. Rien de tel que les grands espaces pour interroger les grands mythes américains ! Celui de la Frontière en l’occurrence… ligne fameuse des pionniers historiques, toujours plus à l’Ouest dans leur conquête des territoires indiens. Elle a, on le sait, joué un rôle fondamental dans la construction de l’identité américaine, comme dans son imaginaire (The Homesman est d’ailleurs l’adaptation d’un roman de Glendon Swarthout, Le Chariot des damnés).
Une notion capitale que Tommy Lee Jones a l’intelligence d’aborder de façon littérale et symbolique. De même, s’il utilise tous les codes du bon vieux western, c’est essentiellement pour les revisiter. En cela, son nouvel ouvrage vaut le détour, car c’est peu dire qu’avec sa « petite » histoire, sise en 1855, il révèle ce qui sépare le Nouveau Monde de ses mythes fondateurs. Prenons l’intrigue, justement : où l’on voit Georges (Tommy Lee Jones, impeccable), rustre sans attaches, s’associer à Mary Bee, une pionnière très indépendante (épatante Hilary Swank), afin de convoyer jusque dans l’Iowa trois femmes du Nebraska qui ont sombré dans la folie. A première vue, tout y est : la terre âpre, la solitude encadrée (par la religion, le devoir, l’honneur, etc.), la rencontre déterminante, la caravane, le voyage (géographique et initiatique), le danger (belle scène, quasi onirique, avec les Indiens), la précarité et la mort (épidémie de typhus, pendaison, etc.).
Lente tragédie, heureusement constellée de moments de comédie, science du récit oblige. Inexorable ballade (Tommy Lee Jones retrouve Marco Beltrami, son compositeur fétiche), qui oscille entre Bible et fusil, Bien et Mal, destin et divin. Dans la tradition. Pourtant, derrière ces repères classiques – belles images de soleil couchant ou d’incendie nocturne à l’appui -, on ne peut pas ne pas entendre un tout autre refrain. Qui prend à rebours, précisément, tout ce que l’on connaît. Le simple fait que l’étrange convoi de The Homesman se déplace du Nebraska vers l’Iowa – donc vers l’Est, à l’inverse des pionniers en quête, eux, de Far West – met déjà la puce à l’oreille. Et puis il y a ces femmes, nichées comme jamais au cœur d’un récit dédié d’ordinaire à leurs congénères masculins. Un autre regard, en effet…
Par Ariane Allard