Ramzy Bedia n’a pas choisi la gaudriole pour son premier long en solo. Plutôt le portrait drolatique teinté de poésie alanguie. De mélancolie aussi. Celle de l’enfance, celle des paradis perdus. Celle du sourire retrouvé derrière le burlesque et la tendresse. Audacieux et doux.
Ce Rocky-là n’a pas de gros muscles. Il ne joue pas des coudes et ne met personne K.O. Carrément le contraire. Il est transparent, invisible. Le monde ne le calcule pas. Pourtant, il ne demande qu’à être vu. Alors, quand l’inimaginable arrive, un Grand-duc perché sur son canapé, il se décide à tenter le tout pour le tout. Le hibou pour le tout. Le Grand-duc grandeur nature. Celui justement qui, nyctalope, voit mieux que tout le monde dans la nuit de la vie. Sous la peau d’un autre, « encostumé », Rocky peut donc enfin aller à la rencontre de l’altérité, trouver l’amour et se retrouver lui-même.
Gonflé de s’atteler à cette histoire casse-gueule. Simple et candide. En permanence sur le fil, Ramzy sans Eric (même pas vrai : Eric est là, en serveur qui se glisse dans le plan avec malice) ose le burlesque au ralenti. Les idées foisonnent, les détails à l’image aussi. Le décor filme la grande ville du Québec, qui raconte l’Amérique des bandes dessinées et des super-héros. Un cadre urbain et pourtant chaud, où l’auteur acteur installe le nid de son antihéros. La géographie du quotidien devient une cartographie du tendre, entre l’appartement de Rocky, son voisin coupé de sa musique (épatant Philippe Katerine), la boutique animalière (Étienne Chicot et sa voix) et son sous-sol secret, et les allers et retours au travail, du bureau à la cafét’.
Bedia cite des cinéastes et univers qu’il aime, du pionnier Tati aux contemporains Charlie Kaufman, Spike Jonze, Michel Gondry ou Quentin Dupieux, avec qui il a parfois collaboré. La silhouette qu’il compose en dégingandé filiforme et décalé sur terre évoque aussi Buster Keaton, Pierre Richard, ou Claude Melki chez Jean-Daniel Pollet. Mais le ton et la construction de Hibou restent très personnels. Même dans ses moments plus faibles. Impressionnistes. C’est une œuvre qui assemble les idées, les notes, les teintes, par petites touches, pour former un tout délicat et finalement émouvant.
Car cette proposition de cinéma parle avec sincérité et croyance de la place que tout humain cherche, et de l’enfant esseulé qui veille en chacun. Élodie Bouchez accompagne et incarne avec lumière et éclat ce regard confiant et grand ouvert sur l’univers. Ramzy déclare que le hibou lui fait penser à son père. Il a choisi, pour incarner le père de Rocky, l’acteur préféré et sosie de son paternel, Guy Marchand, qui n’en finit pas d’émouvoir en pater à l’amour pudique et débordant (Dans Paris de Christophe Honoré, L’Arbre et la forêt d’Olivier Ducastel & Jacques Martineau). Le titre caché de Hibou est donc Papa. Une déclaration d’amour. Un film d’amour.