Dans Grand Central, présenté cette année à Cannes dans la section Un Certain Regard, Rebecca Zlotowski (Belle épine) installe un triangle amoureux à l’ombre d’une centrale nucléaire en activité. Et porte son récit, romanesque et documenté, à incandescence.
Enfant de la Fémis, Rebecca Zlotowski s’était déjà fait remarquer au Festival de Cannes 2010 en présentant son premier long-métrage Belle épine à la Semaine de la critique. L’histoire de Prudence Friedman, 17 ans, livrée à elle-même, qui découvrait le circuit sauvage de Rungis.
Exit les grosses cylindrées et les petits loubards, la jeune cinéaste pose cette fois sa caméra aux alentours et dans la centrale nucléaire de Cruas. Un cadre magistral et inquiétant que traversent des personnages en marge. Ceux qui travaillent au plus près des réacteurs, là où les « doses » radioactives sont comptabilisées dans de petits carnets.
Parmi eux, le jeune Gary (Tahar Rahim) qui, de petits boulots en petits boulots, atterrit là, y trouve un toit, de l’argent, des amis, une famille et l’amour. Rebecca Zlotowski colle aux basques de son héros. Une nuque. Un dos. Un profil. Comme dans sa première réalisation, la cinéaste joue avec les focales pour cerner Gary. Gary, le malin. Gary qui apprend vite. Des traits de caractère qui ne sont pas sans rappeler Malik, le héros d’Un prophète.
Et la comparaison ne s’arrête pas là. Zlotowski signe quelques scènes-citations de Jacques Audiard : à commencer par la prise de poste des travailleurs de la centrale.
A l’ombre des cheminées massives, la réalisatrice conte l’histoire d’un triangle amoureux : Gary aime Karole (Léa Seydoux), la femme de Toni (qu’incarne le talentueux Denis Ménochet), le mec qui lui a filé sa chance. Toni et son physique d’ogre. Ménochet, tout en nuances dans la peau du mari trompé, compréhensif, aux coups de sang et au bon cœur. A leurs côtés, Olivier Gourmet, au bout du rouleau, envahit l’écran. Rebecca Zlotowski invente, développe et accompagne leurs personnages. S’y attache. Dépasse le simple exercice plastique que pouvait être Belle épine. A l’époque, elle y contemplait Léa Seydoux, sans réussir parfois à cerner ses blessures et à comprendre ses silences. Grand Central, plus héroïque, plus romanesque, émeut.
L’autre belle réussite du film tient dans sa partie documentaire. L’immersion au cœur de ce lieu de danger et de mystère est à la fois technique et chimérique. Zlotowski développe des séquences sous haute pression, avant que la vie ne reprenne bon an, mal an, au dehors. Poursuivant ses recherches pour apprivoiser la lumière, elle s’enfonce dans l’antre toxique et lui donne les allures bleutées d’une station orbitale. A l’extérieur en revanche, comme pour souligner l’urgence de la vie, elle expose Rahim et Seydoux à une lumière vive et chaude. Osons les comparaisons saugrenues : Grand Central se situe à mi-chemin entre les terres de Ken Loach et 2001, l’Odyssée de l’espace ! Et semble se souvenir du cinéma de Jean Renoir, de son Toni et de son Déjeuner sur l’herbe.
Pour son second essai, Rebecca Zlotowski aura su conserver la fraîcheur de sa première réalisation, tout en se libérant des scories élitistes du film d’atmosphère que pouvait être Belle épine. En deux longs-métrages, elle a soigné sa signature : un regard tendre, sincère, pointu et une envie de capter l’éphémère, l’équilibre fragile et la précarité.
Par Mélanie Carpentier