Le seizième long-métrage de François Ozon est un drame historique et romanesque qui glisse du noir et blanc à la couleur. Un grand et beau film sur le mensonge et le désespoir, avec Pierre Niney, fiévreux et gracile et Paula Beer, magnifique révélation.
1919, dans un village d’Allemagne. Une tombe, un bouquet, une jeune femme étonnée devant ces fleurs qu’elle n’a pas déposées. Chaque jour, Anna quitte la maison de ses beaux-parents pour se rendre au cimetière, chaque jour elle va se recueillir auprès de celui qui ne sera jamais son mari, son fiancé mort au front en France et qui gît là, sous la terre : Frantz Hoffmeister. Et puis, l’homme au bouquet apparaît, c’est Adrien, un Français, bouleversé, qui peut à peine répondre aux questions entre deux sanglots. Oui, ils étaient amis, oui, ils se sont connus à Paris…
Pour son seizième long-métrage, François Ozon adapte librement, avec la collaboration de Philippe Piazzo, une pièce de Maurice Rostand dont Ernst Lubitsch avait tiré, en 1932, son unique drame, Broken Lullaby. C’est une histoire de guerre et de mort, de chagrin et de culpabilité, d’amour rêvé et d’amour vécu, de résilience et de pardon. Comment un conflit mondial anéantit les corps et les cœurs, comment la mort d’un fils éprouve une famille entière, comment une vie en impacte une autre… Le film retrace avec délicatesse et force détails l’atmosphère mortifère qui règne en Allemagne, le village est en deuil de tant de fils disparus à la guerre et un Français de passage représente forcément un scandale. Surtout quand il semble s’installer dans la famille de Frantz jusqu’à prendre sa place : le repli sur soi et la montée d’un nationalisme qui vont s’exacerber quelques décennies plus tard en une impensable Seconde Guerre mondiale, sont palpables.
Mais Frantz est aussi un grand film romanesque, au cœur duquel dort un secret, où les souvenirs sont embellis par le mensonge, où les sentiments se propagent, où l’art – un tableau de Manet, un air de violon – tisse des liens invisibles et aériens. Sa figure centrale est une toute jeune femme, Anna. Sa vie s’est arrêtée en même temps que celle de son fiancé. Désormais, elle est la « fille » des parents de Frantz, leur soutien et leur souffle de jeunesse, peu à peu elle devient l’amie de l’ami de Frantz, mais qui est-elle, profondément, qui va-t-elle choisir d’être ? La caméra suit ses pas et son chemin, cette silhouette vêtue de noir qui marche vers un mort, puis vers un vivant, à travers les ruelles du village. Ce visage fermé, encore pétri d’enfance, le sourire qui revient, la douleur et les espoirs, les désillusions et le retour à la vie. Il lui faudra, pour cela, prendre un train vers la France, chercher un mort, retrouver un vivant, devenir en quelque sorte Adrien et subir le regard de biais des Français pour une Allemande, ressentir la violence et la douleur partagées d’une frontière l’autre, d’un peuple l’autre, d’une famille l’autre.
Frantz est un film intense et rapide, d’une densité inouïe. L’interprétation précise, la mise en scène élégante, les cadres rigoureux et le montage incisif contribuent sans cesse à des glissements, de sentiment en sentiment, d’émotion en émotion. Comme l’image glisse soudain du noir et blanc à la couleur (et retour), évoquant l’irrépressible instinct de vie qui s’insinue et insiste. Et doucement reprend ses droits.