Jenny, jeune médecin généraliste, a une haute idée des règles : elle engueule son interne qui s’est laissé « dépasser par ses émotions », refuse d’ouvrir sa porte après la fin des consultations. Mais une jeune femme sans papiers est retrouvée morte sur le quai, celle-là même qui avait sonné la veille… Dixième long-métrage des Dardenne, La Fille inconnue s’inscrit dans la lignée de leurs précédents films : une prise de conscience suivie d’une quête. Dans ce polar de l’âme, Jenny enquête pour donner un nom et une sépulture à la disparue. Ils questionnent, sur les pas d’Adèle Haenel, parfaite en petit soldat buté, la responsabilité et la culpabilité du citoyen. On pense à La Chute d’Albert Camus et à ces bonnes raisons que nous avons tous de ne pas intervenir dans la vie (ou la mort) d’autrui. Si le scénario est plus « volontariste » que de coutume avec quelques « hasards » voyants, la mise en scène reste un modèle du genre. Dans les rapports à ses patients, Jenny ausculte, touche, écoute, et appelle aussi la compagnie d’électricité pour aider un homme privé de courant. Les corps, massifs ou frêles, le souffle et les mots, et même le silence, envahissent l’espace du cabinet médical. Et la banalité de ce quotidien regardée par les frères belges prend une ampleur et une force qui bouleversent. Et à elle seule rend ce film (raccourci de neuf minutes depuis sa présentation à Cannes), comme les précédents, indispensable.