Dans une grande ville où tout le monde s’arrange, Félicité est chanteuse de bar. Après un accident de moto, son fils se retrouve à l’hôpital, et elle va devoir trouver tant bien que mal les fonds nécessaires pour payer son opération et le sortir de là. Grand Prix du Jury au dernier Festival de Berlin, le film franco-sénégalais d’Alain Gomis, qui se passe au Congo, sort ces temps-ci en DVD.
Quand on pense Afrique au cinéma, on hésite souvent entre de beaux paysages et des scènes de guerre, deux éléments absents du film d’Alain Gomis. Le contexte fondamental dans cette histoire a priori universelle, ce n’est pas tant celui de l’Afrique en général, mais bien celui de la ville de Kinshasa en particulier. Une chanteuse de bar, forte et indépendante, recherche de l’argent pour payer l’hôpital pour son fils, victime d’un accident de la route. En cherchant de l’aide, elle trouvera, presque malgré elle, l’amour, en rencontrant Tabu. Une histoire qu’on aurait pu voir se dérouler au fin fond du Texas ou à New Delhi. Mais c’est à Kinshasa qu’elle prend place. Une ville qu’Alain Gomis ne filme jamais comme la fourmilière qu’elle peut être, mais toujours à hauteur d’habitant, sans presque aucun plan d’ensemble, dans ses rues périphériques, et surtout, à l’intérieur. Le réalisateur ne se limite pas à suivre l’action, ne cherche pas à l’expliquer. Il est parmi ses personnages. La séquence introductive, dans le bar, est à l’image de cette mise en scène. Tandis que Félicité chante, la caméra se promène parmi le public, découvrant une foule amusée, tantôt captivée, tantôt agitée. Certains de ces personnages auront une importance par la suite, d’autres disparaîtront après du film. Mais peu importe. Il ne s’agit pas de présenter les personnages, mais de partager l’ambiance.
Cinéma du réel
Avec sa mise en scène souvent très documentaire, observatrice, le film de Gomis évoque le cinéma direct. Difficile de ne pas penser à Jean Rouch, tant le film nous montre une Afrique particulière et réaliste, naturaliste, bien loin des images de tragédies dantesques des actualités télévisées. On retrouve aussi ce soin du témoignage documentaire dans la manière qu’a le réalisateur de filmer la musique. Car Félicité est aussi un film musical. Mais Gomis ne cherche pas à « occidentaliser » cette musique, à l’adapter à un public européen. Dans le bar de Félicité, l’acoustique n’est pas terrible, et on y joue du « tradi-moderne », de la musique traditionnelle et populaire africaine, amplifiée avec guitare électrique et micros. Si le groupe présent sur scène aux côtés de la chanteuse, le Kasai Allstars, est assez connu des spécialistes, la musique ne cherche jamais, par sa beauté ou son volume, à détourner notre attention de la vie et de l’ambiance du bar. Avec ses personnages forts et marquants – Véronique Beya Mputu (Félicité) et Papi Mpaka (Tabu) en particulier – ses situations parfois tragiques et parfois drôles (une réparation de frigo par Tabu – déjà amoureux – chez Félicité, qui s’éternise curieusement), son décor de la vie quotidienne, sublimé par une langue lingala que l’on n’entend presque jamais au cinéma, Félicité est un beau voyage, loin de la carte postale ou du reportage, vers un Kinshasa ordinaire et passionnant.