Une femme immigrée enfermée par son illettrisme français retrouve sa langue natale et regagne sa liberté. L’arabe lui redonne vie. Philippe Faucon n’a jamais été aussi près du sublime portrait.
Philippe Faucon est toujours donné avec évidence comme un cinéaste de vertu sociologique et politique, dont les travaux fictionnels auraient cerné le sujet de l’immigration en France. Si ce n’est pas une vraie fausse piste ni une complète inexactitude, ses films ne s’y réduisent pas. Cette thématique qui traverse et identifie son œuvre fait écran à ce qui fonde son travail : la vérité de ses personnages fait de lui d’abord un portraitiste subtil et aigu, dont Fatima serait la dernière production en date de son atelier, dépeignant avec superbe le visage irradiant d’une femme immigrée marchant vers la lumière, avec force courage, obstination et résistance ; une héroïne.
Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, Fatima a été donné comme un film d’intégration, formant un possible diptyque, à double polarité, avec son précédent, La Désintégration (2012), sur l’endoctrinement dans le djihad de jeunes garçons. Là encore, c’est à la fois juste et en deçà de ce qu’est Fatima, dont l’intégration n’est pas le motif central. La question existe, mais elle reste à l’arrière-plan du récit de la vie de cette femme, Fatima, femme de ménage, soumise et humiliée par l’horreur économique, qui élève seule ses deux filles qui se cherchent et se construisent, comme tous les jeunes gens de leur âge. Ce n’est pas tant le statut d’immigrée de Fatima qui compte ici, que sa place parmi les déclassés, les faibles, les pauvres, tout en bas de l’échelle sociale. Philippe Faucon n’ignore rien de sa condition sociale, mais ce réalisme ne vient pas recouvrir ce qui constitue au fond son projet : un portrait de femme marginalisée par sa non-maîtrise, écrite et parlée, du français. Comme souvent dans son cinéma, une comédienne non professionnelle tient ce rôle essentiel : Soria Zeroual est bouleversante, magnifiée par une caméra enamourée et une mise en scène épurée, au style délesté, qui la rehausse très simplement, au centre d’une image sans inutilité.
Adapté de Prière à la Lune, récit composite de poésie, de pensées, de fragments divers, écrit par Fatima Elayoubi, dont l’héroïne de Faucon serait le double de cinéma, ce portrait ne traite pas de la condition féminine au sein de l’immigration, et n’envisage pas non plus le conflit avec soi-même et ses origines dans un pays d’accueil, qui était le sujet de Samia (2000). Il s’agit d’une vision intime et vibrante : Fatima est un film sur une femme qui va recouvrer sa liberté en retrouvant sa langue natale, la langue des origines. La chute de Fatima est à la fois le moment d’effondrement de son corps, l’instant où il se brise, et le début de sa renaissance à elle-même. Elle s’en relèvera pour se remettre debout et remettre sa vie en marche. Nulle impuissance, nulle fatalité, nulle peur et nulle
amertume, voici une femme parlant la langue de son enfance. La langue de l’enfance est celle d’un rêve retrouvé.