Avec ce premier film présenté dans la section Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes, Bogdan Mirică signe une œuvre ascétique et puissante.
Après le décès de son grand-père, le citadin Roman revient sur ses terres, dans une lande roumaine désolée. Il entend vendre la propriété familiale, mais les dangereux partenaires de son aïeul s’y opposent fermement.
Combien de plans laissent apparaître Roman, protagoniste malheureux de Dogs, sur le seuil d’une demeure héritée, parcourant sans conviction la terre bosselée de son grand-père corrompu, et scrutant un horizon qui jamais ne lui répond ?
Dogs est une histoire de frontière. Western déguisé, avec son shérif impuissant, uniquement volontaire en dernier recours, à la manière d’un Gary Cooper dans Le train sifflera trois fois, il affirme les nouvelles limites de l’inconnu, à l’Est, là-bas, aux confins d’une Europe mal aimée. Roman est le visiteur d’un monde antique dont il ne saisit pas les règles. La loi est impuissante à le protéger, et il est sommé de respecter les volontés d’un mort et les règles du passé.
Dogs est une œuvre violente, d’une manière sourde et insidieuse ; un film qui suinte l’angoisse et les menaces non formulées. Le talent de Mirică, dont il s’agit du premier long-métrage, réside souvent dans la gestion du hors-champ. La frontière est double. Il y a cette limite, physique, d’un terrain, d’un territoire, presque d’un continent. Et le champ se resserre peu à peu sur le personnage principal. La seconde frontière, c’est donc le cadre, l’œil du cinéaste, ce qu’il choisit sciemment d’offrir ou non à notre regard.
Lors d’une scène saisissante, Roman est invité à un barbecue par le chef de clan. Deux hommes luttent à leurs côtés. Ils s’affrontent à mains nues et roulent au sol. Le pugilat n’est pas offert aux yeux du spectateur, il reste hors champ. Le procédé roublard du cinéaste crée une forme d’oppression qui renforce un dialogue supposément anodin entre deux personnages majeurs. Dans Dogs, la violence flotte ainsi dans l’air et semble indissociable des lieux dépeints.
Film roumain, donc européen, le long-métrage de Bogdan Mirică pourrait être adapté d’un roman de Cormac McCarthy, l’auteur célébré de No Country for Old Men, mais aussi de Méridien de sang. On y trouve une même âpreté, une même résignation, un sentiment d’immuabilité et enfin la suprématie du lieu, du contexte.
Il y a de toute évidence, surtout pour un premier film, des comparaisons moins flatteuses.