La carrière déjà bien tracée du cinéaste Paolo Sorrentino, exception d’un cinéma italien étiolé, se poursuit avec l’étonnant Youth, un film d’une grande maturité stylistique, au discours mâtiné d’absurde. Avec un duo de choc, Michael Caine et Harvey Keitel, la partition est du plus bel effet.
Youth de Paolo Sorrentino : À retrouver sur CINE + À LA DEMANDE
De film en film, Paolo Sorrentino crée une fracture béante entre ses aficionados et ses détracteurs, ces derniers n’ayant jamais la dent plus dure qu’au printemps, lorsque le cinéaste italien pointe régulièrement sa trombine sur la Croisette en sélection à Cannes, une nouvelle coproduction au casting international sous le bras, revendiquant son droit à l’épaisse moquette des tapis rouges. Par effet de mode, il est de bon ton dans les médias d’admonester le rital et de blâmer les frisottis de sa mise en scène.
Plus encore que l’assez nébuleux This Must Be the Place (2011), avec Sean Penn en mutant anémique de Robert Smith, ou le réussi La Grande Bellezza (2013) avec l’épatant Toni Servillo, Youth aura ainsi fait les frais d’une mauvaise humeur cannoise. Ne cachant pas ses prétentions universalistes en y abordant le sujet de la vieillesse comme préoccupation fondamentale, forcément, le rutilant quadragénaire Sorrentino agace. Il ne s’est d’ailleurs pas gêné d’enfoncer le clou en conférence de presse, à coup de messages aussi laconiques qu’affectés : « Le temps qui passe, ce qu’il nous reste, est le seul thème qui nous intéresse ».
Fred (Michael Caine) et Mick (Harvey Keitel) sont deux vieux amis octogénaires, en vacances dans la luxuriante verdure des montagnes suisses au pied des Alpes. Le premier, compositeur et chef d’orchestre, vit retiré de la scène, pas chagriné de son immense carrière en berne. Mick, quant à lui, est un cinéaste toujours en activité, véritable pile électrique cherchant à achever son dernier scénario. Dans ce moment, rare, de retrouvailles, les deux se confient tour à tour sur leurs vies et les petits tracas de leur âge avancé…
D’emblée, le choix de Sorrentino apparaît limpide : loin d’une forme de complaisance dans la déliquescence des âmes et des corps, la vieillesse est l’objet d’un grand contournement comique qui vise obstinément la légèreté.
Sans fermer les yeux sur la réalité et les problèmes de vessie, cette perception réhabilite l’expérience de vie des seniors, des doyens rehaussés d’un petit tapotage d’oreiller dans le lit de la médiocratie et du jeunisme ambiant : tel un Sisyphe heureux poussant son rocher, étonnamment libre face à l’absurdité de son irrémédiable destin, le vieux s’accepte (enfin) tel qu’il est et bénéficie du bonheur. La classe de l’admirable Michael Caine et l’énergie du formidable Havey Keitel s’appliquent ainsi à décliner l’adage dans une forme de calme allégresse que rien ne peut altérer : ni l’arrivée de la fille de Fred – Léna (Rachel Weisz) effondrée, car elle vient de rompre avec le fils de Mick – ni Brenda (Jane Fonda), une actrice un brin hystérique cherchant à en découdre, ne réussiront à les abattre. Solide comme un roc, le duo tient bon la rampe, plongé dans un festival de situations et de personnages que d’aucuns qualifieront de clowneries débilitantes, tandis que les autres y verront la résurgence des sirènes d’un Fellini.
Comme sur l’affiche du film, face au débarquement des obus de Miss Universe dans la piscine, Fred et Mick se tiennent bien droits, l’air vaguement étonné mais arrimé au non-sens de la vie : « Le présent et la succession des présents devant une âme sans cesse consciente, c’est l’idéal de l’homme absurde » disait Albert Camus. Une clé qui permettra de ne pas bouder son plaisir devant Youth.