Après The Act of Killing, Bafta du meilleur documentaire et nommé à l’Oscar en 2014, l’Américain Joshua Oppenheimer persiste et signe avec un nouveau film édifiant qui plonge dans l’horreur du génocide indonésien de 1965. Il se concentre cette fois sur une famille, en suivant les pas d’un frère né juste après le massacre, qui part à la rencontre des assassins de l’aîné qu’il n’a pas connu. Glaçant de côtoyer dans la rue, dans les administrations, en toute liberté, les tortionnaires toujours au pouvoir de son propre peuple, de son propre foyer. Sans complaisance, mais avec un aplomb et une audace pétrifiants, le cadet va vers l’Autre monstrueux, s’assoit, interroge, et examine même un ex-sanguinaire. Car Adi est ophtalmo. Il soigne les yeux, pour guérir et veiller à la bonne vue. Vertigineux qu’un autre œil, objectif de la caméra, le suive et l’accompagne. Abyssal d’être témoins avec notre regard du chemin qu’il fait pour révéler le passé.
Oppenheimer soigne ses plans avec un sens du cadre prodigieux, au service d’un travail implacable de mémoire et de dignité. La nature est belle et renferme ses secrets atroces dans sa terre et ses flots. Les parents âgés portent sur leurs corps frêles le poids de la souffrance. Toujours coproduit par Werner Herzog et Errol Morris, et récompensé dans une foultitude de festivals, dont Venise, Berlin et Angers, The Look of Silence réunit de nombreux collaborateurs indonésiens, tous crédités d’un « Anonymous » au générique de fin. On en ressort sonné.