Mini-jupe, crinière en broussaille et rire de gorge : Angélique, la soixantaine, n’a rien pour rassurer les bien-pensants. Et c’est tant mieux. Car sous sa turbulence tapageuse, elle est une héroïne aussi libre que formidablement attachante. Dans Party Girl, Caméra d’or du dernier Festival de Cannes.
Sur la scène du Palais des Festivals, en mai dernier, Samuel Theis avait les larmes aux yeux. On le comprend. Avec ses coréalisatrices et coscénaristes, Marie Amachoukeli et Claire Burger, il venait à peine de remporter la Caméra d’or, juste après avoir reçu le prix d’ensemble d’Un Certain Regard, dont leur film assurait également l’ouverture. Mais surtout, il venait – enfin, avait-on l’impression – de pouvoir dire à sa mère, Angélique Litzenburger, muse et personnage principal de ce magnifique Party Girl, toute la force de leur étrange relation. Une relation qui, enfant, racontait-il, le poussait à marcher loin devant elle dans la rue, ignorant cris et appels de cette maman flamboyante, crinière échevelée, bagues à chaque doigt et mini-jupe ostentatoire. Une relation qui, aujourd’hui, s’est transformée en sève à fiction, nourrissant d’une sincérité et d’une authenticité renversantes ce film unique.
Car sous les yeux des trois anciens élèves de la FEMIS (ensemble, ils ont déjà réalisé les courts Forbach ou C’est gratuit pour les filles), Angélique est devenue
une héroïne. Une vraie. Pas simplifiée ou décolorée en deux tons, mais complexe, unique, aussi forte en gueule que vulnérable. Aussi profonde, rieuse et triste que ses yeux translucides, hypnotiques. Une femme d’une soixantaine d’années, abîmée, forcément, par cette nuit qu’elle aime tant, Pretty Woman du pauvre travaillant dans un cabaret à la frontière belgo-allemande et acceptant, comme dans un conte de fées, la demande en mariage de Michel, un de ses clients. Une femme sans cesse mythifiée, à la fois adoucie et rendue encore plus grande que nature par les sublimes musiques (la bande-son déchirante de Chinawoman !) ou la photo veloutée, franche mais jamais agressive, dont l’entoure une mise en scène charnelle et un rien mélancolique. Entourée des membres de sa famille ou d’acteurs non professionnels, improvisant la plupart du temps, Angélique bouffe l’écran comme elle bouffe la vie, devine-t-on. Sans politesse, sans fausse pudeur. Toute sensualité et failles dehors. Elle imprime l’écran, comme Gena Rowlands (Une femme sous influence), Tilda Swinton (Julia) ou Anna Thomson (Sue perdue à Manhattan) avant elle. En grand, en trop, en formidablement attachant.
Mais si elle parvient à ainsi exister, c’est qu’elle est regardée. À la bonne hauteur, la bonne distance. Avec empathie et sincérité. Par une caméra soucieuse, mais sans complaisance aucune, de véritablement montrer ce que peuvent avoir de courageux et de difficile les choix d’une femme. L’audace qu’il faut avoir pour accepter, par exemple, de ne pas être une « bonne mère », pétrie d’un amour maladroit, gauche, exigeant, souvent égoïste, pour ses enfants. La force que cela prend, peut-être surtout, pour comprendre, sans devenir amère, qu’essayer de croire au prince charmant, c’est acheter l’utopie que génèrent les croyances futiles dont on entoure les petites filles qui grandissent, utopie que ce premier film insolent, chaleureux et simple ne se prive pas de dénoncer sans ambages. C’est bien cela qui touche autant dans Party Girl. Non pas seulement la souplesse de cette mise en scène ultra-naturaliste et aboutie, évoquant autant la rigueur formelle des Dardenne, sans leur rigorisme moral, que la tendresse des regards sur les marginaux lumineux d’un Bouli Lanners. Mais bien le sentiment de voir, sous nos yeux émus aux larmes, une femme se donner le droit d’être libre. Tout simplement. Envers et contre tout. Au cinéma, et dans la vie, il n’y a probablement rien de plus beau.