En plein burn-out, Paul part faire du vélo un vendredi 13 et s’enfonce dans la montagne. Le sixième long-métrage de Kervern et Delépine, hanté par la mort et habité par un Michel Houellebecq stupéfiant, est désespérément drôle.
« J’ai 56 ans et je suis obsolète. Avant, on était un vieux, un pépé. On attendait tranquillement la retraite. On vous demandait pas d’atteindre des objectifs, de les dépasser, on vous demandait pas d’être toujours séduisant, d’être habillé en jeune, d’être un homme viril, de baiser encore, de faire du sport… ». La voix off de Michel Houellebecq, qui mange un peu les mots – sans les mâcher pour autant -, est basse et chuintante, elle force à dresser l’oreille. A l’écran, un homme doux et décati, parti pour mourir (à moins qu’il ne soit, comme il le clame, « déjà mort ») vit quelques heures de solitude. Vêtu de son maillot rouge et blanc et de son short de cycliste, il déambule dans un paysage de montagnes arides, de plaines desséchées et d’horizons pas si bouchés, en apparence.
Paul fume comme Houellebecq, danse comme un fou en psalmodiant un mantra – « La vie doit être enivrante, la vie doit être enivrante, la vie doit être enivrante… » -, pose des cailloux les uns sur les autres pour se recréer une famille. Son face-à-face avec lui-même est à peine troublé par la rencontre d’un promeneur avec lequel il joue à pousser des petits cyclistes dans le sable, le temps d’une pause entre copains improvisés qui a le goût de l’enfance.
Les phrases se suivent, tristes et drôles à la fois. Qu’il se parle à lui-même en ânonnant quelques vérités bien senties ou s’adresse à sa femme et devienne romantique à sa façon : « Quand je me suis marié avec toi, j’étais fier. Je ne te l’ai jamais vraiment dit, mais les femmes que j’ai connues se comptaient sur les doigts d’une moufle. » Quand on part à cause du « trop plein », du « trop vide », un bilan de vie banale, ce n’est pas grand chose et c’est beaucoup…
Kervern et Delépine, depuis Aaltra, leur premier long en 2004, évoquent les petits, les obscurs, les sans-grade ; les mal dans leur vie, tentés par la mort ; les mal dans la société, tentés par la marge ou se jetant dans des voyages impromptus. Paul rejoint la cohorte de leurs personnages d’exclus en pleine évasion. Ces humains tellement humains, qui parfois ne portaient même pas de prénom, mais arboraient leurs visages, ou ceux de Yolande Moreau, Bouli Lanners, Benoît Poelvoorde, Gérard Depardieu… Et ces visages-là trimballaient dans chaque film un peu de ce qu’ils étaient par ailleurs. Michel Houellebecq, comme une évidence, joue ce petit employé en plein burn-out et apporte sa tronche, sa silhouette de moustique, son nuage de fumée, ce qu’on sait ou croit savoir de l’auteur des Particules élémentaires, de La Carte et le Territoire et La Possibilité d’une île… La tentation de l’abîme, une clairvoyance dépressive, un désenchantement tonitruant.
Near Death Experience n’est ni un documentaire sur Houellebecq ni une fiction comme les autres, c’est une expérience différente, envoûtante, drolatique et vraie. Un regard porté sur le monde et sur nous-mêmes, une suite de moments de cinéma qui vous portent et vous emportent. Un film brumeux et d’une éblouis-sante clarté. Dérisoire et essentiel.