Mais oui, Céline était un comédien ! Un tel personnage, car il en était un, surécrit, surjoué, surprenant, était fait pour le cinéma. On l’a attendu longtemps : l’un des plus grands écrivains du XXème siècle, excessif en tout, débordant de littérature et débordant d’antisémitisme condamnable et condamné, est intimidant et scandaleux. Il fallait un comédien de la stature forte de Denis Lavant, qui l’a joué et le rejouera encore au théâtre, pour risquer sa peau à être le monstre Céline. Emmanuel Bourdieu le saisit en plein exil précaire au Danemark, en 1948, criminel recherché par la justice française, qui l’accuse d’avoir collaboré avec les nazis. Les Danois l’ont mis en prison, puis libéré, ont refusé de l’extrader, la justice militaire ne l’a pas (encore) amnistié (ce sera en 1951). Brasillach a été fusillé, Céline ne veut pas mourir. Bourdieu reconstitue le séjour danois auprès de Céline de Milton Hindus, jeune écrivain juif américain, qui l’admire et le soutient dans la préparation de sa défense - en février 1950, Céline sera condamné par contumace à un an de prison. Céline est l’homme blessé, qui s’en va claudiquant, affaibli, mais Céline est l’homme qui crie, éructe, hait. Un comédien de farce aux mots nauséabonds entre en scène. De Céline et de Hindus, Bourdieu fait « deux clowns pour une catastrophe ». Que le rire est noir !