C’est le portrait d’un homme qui se bat. Pour rester debout. Malgré la logique implacable du monde du travail. Un film âpre et fluide présenté en compétition à Cannes. Si Vincent Lindon ne reçoit pas le prix d’interprétation, nous, on le lui donne !
Filmé en scope, un monde en soi, ni spectaculaire, ni générateur d’effets spéciaux s’ouvre à nous : le cœur de l’humanité lambda. Thierry, c’est vous, c’est moi, c’est un voisin, un cousin, c’est un homme au chômage depuis vingt mois et qui peine à retrouver un emploi. Son combat se fait désormais au quotidien pour rester debout. Alors, lorsqu’un ancien collègue milite pour que reprenne la lutte contre ce patron qui les a virés du jour au lendemain dans le seul but de délocaliser et faire plus de profit, Thierry dit non. Il a besoin de tourner la page. « Est-ce que ça fait de moi un lâche ? », demande-t-il.
Son énergie, son courage, sa foi, Thierry en a besoin pour rester dans la vie. Être le mari de sa femme, le père de son fils handicapé. Et subir les critiques soi-disant constructives au Pôle Emploi, lors des exercices de mise en situation ; et avaler les conseils paternalistes de sa banquière qui lui suggère de vendre son appartement, seul bien acquis en une vie de labeur ; et supporter, lors d’un entretien d’embauche par Skype, que le recruteur lui demande s’il accepterait d’être rétrogradé financièrement, avant de lui asséner qu’il ne serait probablement pas embauché…
Filmé comme un documentaire, avec une fluidité remarquable, le film suit sans le lâcher cet homme qui plie, mais ne rompt pas. Et la caméra presque sensuelle induit chez le spectateur une angoisse sourde : cet homme va-t-il tenir ? Chaque humiliation est charnellement vécue par le personnage, Thierry, cet homme au corps et au visage fatigués, mais qui résiste. Qui serre les dents. Il y a là quelque chose d’un parcours christique, d’un chemin de croix : la vie de travailleur, ici et maintenant, est un enfer pavé d’embûches.
En plaçant Vincent Lindon au centre de son film, Stéphane Brizé fait plus que reprendre son acteur désormais fétiche (Mademoiselle Chambon, Quelques heures de printemps), il lui donne l’occasion de se surpasser en le plongeant dans le réel, parmi des non acteurs, des « natures » qui représentent la cité telle qu’elle fonctionne (ou dysfonctionne) de nos jours. Et le regard de Lindon/Thierry sur ce qui l’entoure, l’enserre, l’étouffe est déchirant, révoltant. La violence du monde, c’est cela, nous dit Stéphane Brizé avec fatalisme, mais sans misérabilisme. Et chacun à sa place et dans son rôle y contribue un peu plus, du fonctionnaire du Pôle Emploi à la banquière.
Mais, ce que montre la scène du début, face au militant (d’ailleurs interprété par un homme immédiatement identifié comme combattant social, puisque c’est Xavier Mathieu, le syndicaliste de l’usine Continental), c’est que, désormais, le travailleur est seul, la lutte sociale s’est déplacée du collectif à l’individu. Et le film raconte les limites sans cesse repoussées de ce qu’on peut endurer pour un travail, pour nourrir sa famille, pour offrir des études à son enfant. Dignité, dignité chérie, tu es devenue bien chère. Jusqu’où l’homme doit-il se nier ? Et jusqu’à quand ? C’est toute la question de La Loi du marché.