Sandu sait peut-être qui a tué la voisine du dessous. Peut-être. Mais il se tait. Et ce silence envahit sa vie, comme le présumé tueur, d’ailleurs. Une chronique ordinaire se muant en polar de l’âme. Un film passionnant et magistral.
Sandu Patrascu aime sa femme Olga, son grand ado Matei et son labrador Jerry, qu’il promène chaque matin. Cet homme tranquille travaille dans l’administration, aidant les particuliers à réunir tous les formulaires nécessaires à l’immatriculation de leurs voitures, ce qui fait de lui un être très organisé. Un jour, en passant devant la porte de sa voisine du dessous, Laura, il entend une violente dispute amoureuse et voit sortir de l’appartement son voisin Vali, par ailleurs marié. Quand Laura est retrouvée morte peu après, Sandu se tait… Ni à sa famille, ni aux policiers venus interroger les habitants de l’immeuble, il ne dit mot de ce qu’il a vu et entendu. Peu à peu, Vali se fait de plus en plus présent dans la vie de Sandu : expert en informatique, il aide Matéi, conseille Olga, mange à leur table et finit par demander à Sandu son appui pour une immatriculation.
Dans la première partie, toute la mise en scène de Radu Muntean (Boogie, Mardi après Noël) tourne autour du corps massif et du visage impassible de Sandu, interprété par Teodor Corban, acteur puissant, qu’on retrouve au générique de tous les films du jeune cinéma roumain, de 12h08 à l’Est de Bucarest à Aferim ! en passant par Au-delà des collines et Mère et fils.
Filmé au plus près, il est notre guide et un peu nous-même, puisque nous lui emboîtons le pas à la suite de la caméra. Puis, la silhouette frêle de Vali (Iulian Postelnicu) semble s’insinuer de partout – des bords droit et gauche du cadre, et même du bas de l’écran lors d’une scène où il se lève de sa chaise à l’arrivée de Sandu dans la pièce –, matérialisant les remords et autres angoisses nés du silence de Sandu.
Qu’est-ce donc que ce silence assourdissant ? Sans que jamais rien ne soit expliqué, ni à l’image, ni par les dialogues, on sait, on sent que l’âge du personnage (la cinquantaine) fait de lui un homme qui a de cuisants souvenirs du régime communiste de Ceaucescu. La délation sans preuves, non merci : car, après tout, lorsque Sandu a vu Vali sortir de chez Laura, celle-ci était vivante.
Une scène, formidable, éclaire en partie la personnalité de Sandu : réuni avec quelques copains devant un match de foot à la télévision, Sandu s’oppose soudain à l’un d’eux qui traite Laura de « pute » et affirme qu’elle a « bien cherché ce qui lui est arrivé ». Sandu réagit comme un homme qui refuse de céder aux apparences trompeuses, aux conclusions hâtives. Un homme qui sait le prix de la vérité. Et du mensonge. Mais ce silence est aussi le reflet du chacun pour soi de l’époque actuelle : ce qui ne me regarde pas ne fait pas partie de ma vie, donc ne m’atteint pas.
Filmé en plans-séquences, de respiration en silence, d’échange de regards en échanges de coups, la tension monte, monte, monte. Faisant de cette chronique du quotidien un polar de l’âme, passionnant, haletant.