Cinq ans après son dernier film, Patricio Guzman revient enfin hanter nos rêves avec un documentaire au triple croisement du conte philosophique, du récit ethnographique et du film de science-fiction. Un pur émerveillement.
Après avoir scruté, dans Nostalgie de la lumière, le sol caillouteux du désert de l’Atacama avec les mères, les sœurs et les veuves des victimes du régime de Pinochet, à la recherche des plus infimes traces de leurs disparus, Patricio Guzman tourne aujourd’hui son regard vers l’eau pour continuer d’interroger la nature profonde de son pays. En cabotant le long des côtes les plus méridionales de l’Amérique du Sud, le réalisateur prend la mesure de l’immensité de son pays, ce Chili si vaste qu’il n’est que très rarement représenté dans sa totalité sur les cartes nationales, mais divisé en trois parties distinctes, comme le funeste symbole d’une nation déchirée, jamais remise de son histoire sanglante. Au fil de ses pérégrinations, c’est par l’image et la parole que Guzman va alors tenter d’en suturer les plaies, tout en s’interrogeant sur notre place dans l’espace, continuant de la sorte à tracer un sillon poétique sans équivalent dans le documentaire contemporain.
Patricio Guzman est un magicien. Un prestidigitateur, passé maître dans l’art de nous faire voir l’invisible et croire en l’incroyable, sans jamais verser dans une philosophie New Age pontifiante. Un cinéaste capable de poétiser la moindre parcelle de réel, même la plus anodine, pour renouveler notre regard sur le monde. L’écrivain argentin José Luis Borges imaginait dans L’Aleph que l’univers était contenu dans un trou, situé sous la marche de l’escalier d’une maison de Buenos Aires. C’est à ce même vertige métaphysique, à ce saut de la foi que nous invite Guzman à travers son nouveau film, où il parvient à nous faire voir les galaxies dans une goutte d’eau, dans un bloc de quartz translucide, ou à travers le bouton de nacre du titre. Le gros plan est son outil pour isoler un détail et l’élargir soudain aux dimensions du cosmos, grâce à une science du raccord et de l’analogie inattendus.
Sa voix off pétrie de références littéraires nous guide parmi des personnages tout droit tirés des romans de Luis Sepulveda et de Francisco Coloane, en particulier les Indiens Kawésqar, derniers représentants des peuples primitifs de la Patagonie, massacrés dès l’arrivée de l’homme blanc sur leurs terres. Dans une démarche de passeur et de conciliateur, Guzman leur fait évoquer leurs souvenirs les plus anciens dans leur langue natale, faisant remonter à la surface des sonorités inconnues.
Robert Doisneau définissait la maturité artistique comme la capacité à savoir replacer le détail dans un ensemble plus vaste. Nul doute que Guzman est aujourd’hui en pleine possession de ses moyens d’expression, au firmament de son talent.