Jean-Pierre Bacri fonce dans la nuit noire d’une dépression chronique, dans La Vie très privée de Monsieur Sim, road-movie drôle et désenchanté, adapté d’un roman féroce de l’écrivain britannique Jonathan Coe.
Quand le cinéma prend la route, ça ne file jamais droit. À moins de prendre des raccourcis, sur la carte de l’efficacité dramatique. Le road-movie n’est pas tracé pour la rectitude géométrique, l’alignement rigoureux des points A et B. Il est fait pour transporter les histoires et déplacer les personnages. Les conduire hors d’eux et changer la destination de leur caractère. Il est fait pour les détours, les contours, les tangentes, les traverses. On sait bien qu’à la fin, du chemin aura été parcouru.
Alors oui, on le sait bien, quand Jean-Pierre Bacri prend le volant d’une voiture neuve, dans son costume mal ajusté de vendeur de brosses à dents dernier cri dont il devra se faire le VRP performant, au départ d’une zone commerciale sans âme aux portes de la ville : on va faire un bout de chemin dans sa vie en impasse. Mais on a beau connaître la feuille de route, on part loin dans ce voyage existentiel, loin sur le territoire de ce personnage d’homme seul, perdant, perdu, loin sur le territoire de l’acteur à la mélancolie inguérissable, drôle et triste.
La caméra de Michel Leclerc ne le quitte pas, elle le tient à l’œil, en gros plans serrés tout au long du trajet, suivant son errance sur des routes de campagne sinueuses, froides et enneigées, traversant des paysages mornes sous un ciel bas et lourd.
Toujours au bord du gouffre de la dépression, Jean-Pierre Bacri se perd et s’enfonce dans le noir de sa vie ratée, vagabonde dans des souvenirs d’une jeunesse très tôt sombre, d’une enfance sans insouciance. Les flash-back sur sa vie d’adulte retournent à la même impuissance à vivre heureux, à se laisser aimer, à croire à la possibilité du bonheur, étranger aux autres comme à lui-même, incapable d’altérité. S’il n’y a pas d’échappée belle dans cette existence, le film ménage dans sa fugue des trouées de légèreté, d’absurdité, de fantaisie souriantes.
Ces instants arrachés à l’effondrement s’attachent aux sentiments : monsieur Sim – et c’est sa vie très privée – se lie comme Joaquin Phoenix dans Her de Spike Jonze, à la voix numérique de son GPS, commutée en voix amicale, de songe et de fantasme. Il l’appelle Emmanuelle, parle avec elle, se fâche, se réconcilie, dans un soliloque à la fois inquiétant et réjouissant. La vie très privée de Monsieur Sim est une vie rêvée. Un beau film somnambulique sur la solitude.