/ Critique parue dans le numéro de mai 2015 de BANDE A PART, magazine de cinéma /
La Tête haute de Emmanuelle Bercot : : à retrouve sur CINE+ A LA DEMANDE.
Un gamin violent se cogne contre les murs de sa liberté entravée. Emmanuelle Bercot le fait passer dans l’âge adulte, La Tête haute. Un enfant entre un jour dans votre vie. Il n’en sortira plus. Un enfant paraît, tout d’innocence et de fragilité, dès les premiers plans du nouveau Bercot, ce beau film de révolte, de guerre et d’amour qui vient ouvrir le festival de Cannes 2015 avec les armes d’un cinéma intime et aigu. L’enfant grandira et ne quittera plus La Tête haute, jamais lâché par une caméra qui voudra avec nous lui sauver la peau, lui donner sa chance, l’aimer à perdre la raison. Il faut absolument mettre un nom sur ce visage rayonnant et désespéré dont on s’obsèdera longtemps : Rod Paradot, furieux ange blond, porte sur ses étroites épaules juvéniles la puissance âpre et rugueuse d’un récit marchant dans ses pas et avançant avec lui vers la lumière de sa possible rédemption.
Il s’appelle Malony, drôle de prénom singulier d’un enfant sans père, fils d’une mère célibataire paumée, camée et cramée, qui se blottit contre lui comme si elle était sa progéniture. Ils s’aiment, ces deux-là, à la folie, désespérément, séparés par la justice droite, la loi stricte, le jugement objectif qui ne connaît ni les valeurs du cœur ni les règles de l’émotion. Cette mère totalement immature, c’est Sara Forestier, femme fragile, actrice forte dont le rôle ici, dans ce film tendu, fulgurant, resserré, s’inscrit dans la continuité dramatique du bouleversant Suzanne de Katell Quillévéré dans lequel elle jouait un personnage pas si éloigné, de jeune mère risquant tout pour son homme, par amour.
Malony descend aux enfers et perd son innocence. Il va, de centre éducatif fermé pour jeunes délinquants en prison, au fil d’une errance délictuelle jalonnée de rendez-vous avec un juge pour enfants bienveillant qui a l’autorité naturelle de Catherine Deneuve, exacte et évidente en magistrat d’expérience. Emmanuelle Bercot retrouve l’actrice de son précédent film, Elle s’en va, qu’elle mettait en fugue, en échappée libre et buissonnière. Si elle n’est plus de tous les plans, si ce n’est pas un très grand premier rôle, Deneuve impose un personnage essentiel et juste, joliment compassionnel. Sa retenue est à l’image du film lui-même qui tient à distance ce qui risquerait de le faire tomber du fil funambule sur lequel il marche, au bord des gouffres et de la chute. La lente descente aux enfers de l’enfant perdu, son histoire sombre et chahutée par la vie chaotique de sa mère, se filme en drame sec, dur, brut.
Et si le film cogne, avec ses plaies ouvertes, à vif comme son jeune héros, c’est qu’Emmanuelle Bercot ne dévie jamais de l’intime à l’os. Tout dolorisme, tout misérabilisme, tout pathos est écarté. Aucun fatras psychologique, aucun bazar moral, aucun discours social ne surcharge le film qui avance au fil d’un montage ellipsé. La réalisatrice ne s’appesantit jamais sur les causes et raisons de ce qui arrive au jeune Malony, confiante dans l’avancée intelligente de son histoire. Ce qu’elle a à raconter, c’est une vie en éclats ; nul besoin d’explication. Malony va vite, il veut vivre, il veut vivre vite, rouler à toute vitesse, conduit par ses excès de fureur. Il y a en lui de la colère, de la rage, de l’amour. Il se cogne aux murs de sa liberté empêchée. Mais il avance oui, la tête haute, le regard fier, pour voir plus loin, comme ce film si triste et si beau qui le raconte. Tout est si noir et si éblouissant, la tête haute. Et Rod Paradot ne nous quittera plus.