Ceci est un cinéma envoûté, de croyance, de magie, dont la narration cartomancienne se tire au hasard des cartes d’un tarot ; l’une d’elles donne son titre au film, d’autres organisent ses chapitres (le jugement, la tour, la mort, l’ermite…). Terrence Malick abat le jeu d’un trip hypnotique expérimental dans les arcanes d’un monde hollywoodien mortifère, traversé par des créatures de rêve, des personnages fantomatiques, des figures décadentes. Entre les allées désertes des plateaux de cinéma, les fêtes clinquantes hallucinées, la vacuité des appartements de luxe, le cinéaste s’immerge dans la tête d’un auteur de comédie (Christian Bale), dont le succès ne couvre jamais la dépression profonde, la mélancolie inquiète, le doute existentiel. Il est seul, dans une quête impossible d’amour et de liberté, dans un monde pétrifié, laqué, figé dans les illusions de ses purs artifices. Ils se vendent à coups d’images de publicité glacées qui jalonnent la ville et sa solitude crépusculaire. Chacun y est enfermé sous son crâne, et se parle en voix off. Après David Lynch (Mulholland Drive), après Paul Schrader (The Canyons), après David Cronenberg (Map to the Stars), Terrence Malick erre dans Hollywood et filme, d’une stylisation impeccable, sa désespérance abîmée, sa monstruosité humaine. C’est sublime, fascinant et terrifiant.