Présenté à Cannes en compétition et reparti avec le Grand Prix, Le Fils de Saul, premier film de László Nemes, est une œuvre à la fois morale et exigeante, une plongée dans l’horreur concentrationnaire dont on ne ressort pas indemne.
Le Fils de Saul, de László Nemes : À retrouver sur CINE + À LA DEMANDE
Comment filmer les camps ? Comment faire une fiction autour de la Shoah ? Comment signer une œuvre qui marque les esprits sans sombrer dans le sensationnalisme ? Ce sont quelques-unes des interrogations induites par la conception du premier long-métrage de László Nemes, Le Fils de Saul. Pour tenter d’y répondre, le réalisateur s’est posé des questions essentiellement cinématographiques, comme celle du travail sur le son : « Il est très important, il est là pour dire qu’il y a toujours quelque chose de plus, qu’on n’est pas limités par l’image. Parce que c’est un monde dont on ne peut pas cerner l’ensemble. » Mais le symbole et l’épure pourraient être les deux mots les plus significatifs de la démarche du cinéaste.
Symbole d’abord, car nous sommes en octobre 1942, à Auschwitz-Birkenau, et nous suivons pendant une journée les pas de Saul Ausländer, un membre des Sonderkommandos, des Juifs chargés par les nazis de les assister dans le processus de la solution finale. Après avoir nettoyé une chambre à gaz, l’homme cherche en effet obstinément à offrir un enterrement religieux à une des victimes, un jeune garçon, alors que dans le camp, une révolte se prépare.
C’est l’obstination du protagoniste qui est en effet le moteur du récit et la quête de Saul est clairement la recherche d’un Dieu dans un univers qu’il semble avoir abandonné. Pour filmer ce geste, le cinéaste savait dès le départ que son approche passerait par l’épure, le retranchement. Le retranchement a commencé dans les différentes étapes du scénario, qui ont perdu en contextualisation et en explications pour resserrer à l’essentiel, les 24 heures dans la vie d’un Sonder-kommando : « On savait qu’on voulait quelque chose de temporellement et spatialement très réduit, car on voulait être le plus authentique possible sur le sujet ». L’épure se retrouve bien évidemment dans la mise en scène. En privilégiant le travail sur le hors-champ, en évitant systématiquement les plans d’ensemble du camp et en composant de longs plans serrés et tremblés, toujours à la poursuite de Saul, unique repère du spectateur, László Nemes imprime sa morale de cinéaste, qui refuse le spectaculaire ou le beau : « On ne voulait pas de la belle image. Ce ne sont pas des plans qui sont faits pour impressionner ».
Le jeune cinéaste revient également sur son expérience avec Béla Tarr, maître du plan-séquence, dont il fut l’assistant sur L’Homme de Londres : « Chez Béla, c’est vraiment autre chose. Ici, on ne voulait pas construire des plans-séquences super aboutis. C’est toujours en déséquilibre, ce sont des plans fragiles, car le personnage est dans une situation fragile en permanence ». Et pour entrer dans la réalité de l’action, un repère essentiel, la fulgurante révélation de Géza Röhrig, poète et romancier. On n’imagine pas un instant que Saul est son premier rôle au cinéma, tant la vérité de son jeu, en osmose avec la mise en scène de Nemes, est le pivot d’un film brut et fiévreux.