Thomas Cailley a raflé les trois prix de la Quinzaine des Réalisateurs cannoise 2014 avec Les Combattants. Un premier film en forme de manifeste artistique pour le dépassement de soi et l’école buissonnière. Une heure quarante de vitamine énergisante et d’émotion bigarrée avec deux visages éclatants de jeunesse.
C’est toujours un petit miracle de voir un premier long-métrage et de sentir qu’un réalisateur est né. Parce qu’on y sent une signature, un engagement, un regard, un ton, une énergie, qui ne ressemblent à aucun autre. Thomas Cailley fait ce cadeau à l’écran et au spectateur. Dans Les Combattants, il filme un été pas comme les autres. Celui d’Arnaud, p’tit gars sympa et discret qui vient de perdre son père et qui va bosser avec son grand frère à l’entreprise familiale de menuiserie, dans leur ville de bord de mer. Il suit plutôt le mouvement, jusqu’au jour où il croise, puis recroise la jeune Madeleine, une tornade qui l’intrigue et bientôt l’attire. Il va l’observer, puis l’accompagner dans ses lubies, de stage d’initiation militaire en bivouac sauvage dans la forêt landaise.
Arnaud et Madeleine sont des antihéros, ni parfaits, ni infaillibles, ni glamour, juste farouchement humains et volontaires quand leurs pulsions prennent le volant. Il est aimanté par son audace. Elle est titillée par sa présence. Ensemble, ils vont faire l’expérience de l’altérité et de l’inédit. Et de l’amour tapi en eux. Thomas Cailley et son scénariste Claude Le Pape ont brillamment échafaudé un récit où s’imbriquent la chute (perte du père, des idéaux familiaux, des illusions militaires, écroulement du cabanon) et l’avancée (Madeleine fonce, Arnaud se dépasse, ils défrichent). Bref, le film EST mouvement. Son titre même annonce la couleur : il s’agit d’action. De l’action humaine, celle des pulsions, des désirs, de l’engouement juvénile.
Cailley ose le mélange des genres et des tons. Il y a du naturalisme dans cette peinture quotidienne de jeunes, de familles, d’artisans, de militaires, de scènes de travail en repas, de balades balnéaires en fêtes. Mais très vite, le comique dynamite tout. Avec l’obstination décalée de Madeleine, son air buté, son sens de la provoc’, ses exercices d’entraînement et ses cadeaux cintrés (les poussins congelés !). L’évolution vers le chemin initiatique et la désillusion du fantasme militaire, avant l’échappée buissonnière et la marche presque fantastique, font exploser les carcans et ouvrent le voyage vers l’inconnu.
Kévin Azaïs, aperçu en lycéen séquestré (La Journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld), puis en geôlier (Comme un homme de Safy Nebbou), et dans un tiercé à l’automne 2013 (Je fais le mort de Jean-Paul Salomé, Vandal d’Hélier Cisterne, La Marche de Nabil Ben Yadir), sert de guide au film. Il prête avec générosité son visage émacié et sa candeur à cet homme en devenir qu’est Arnaud. Face à lui, Adèle Haenel embrase la toile. Décidée, têtue, burlesque, sensuelle, tête brûlée, elle incarne avec un volontarisme irradiant l’impayable Madeleine. Et elle continue de tracer un sacré chemin d’actrice depuis Les Diables de Christophe Ruggia et Naissance des pieuvres de Céline Sciamma. Tous deux foncent les yeux grands ouverts dans ce premier long-métrage étonnant et enveloppant, comme l’épaisse fumée finale, et dont on sort revigoré.