Un homme et une femme traversent trois étés et trois états, dans le beau film de deuil solaire de Mikhaël Hers. Entre Berlin, Paris et New York, Anders Danielsen Lie et Judith Chemla sont tristes et vivants.
Quand l’été a été, quels sont les climats intérieurs ? La douce torpeur d’une fin d’été avait été la saison du premier film de Mikhaël Hers, Memory Lane (2010), portrait de groupe et de jeunesse désœuvrée, éprouvant l’ennui, le vide, le temps qui passe. Il enregistrait ce qui a été et ne sera plus jamais, dans les tourments de l’âge adulte à venir. L’été revient comme un vague à l’âme dans Ce sentiment de l’été, son deuxième long-métrage, sur lequel souffle une brise de tristesse lumineuse et des personnages à la vulnérabilité bouleversante.
Une jeune femme française meurt dans la capitale allemande, laissant sa sœur (Judith Chemla) dans une sorte d’hébétude, son petit ami américain (Anders Danielsen Lie) effondré. Il n’y a pas un, mais trois étés dans Ce sentiment de l’été ; trois étés d’une histoire à trois temps et autant de villes : à Berlin, le temps de la mort ; à Paris, le temps du deuil ; à New York, le temps de la vie. Trois étés, et trois états comme dans la loi générale du développement de la pensée rationnelle d’Auguste Comte, à qui l’on emprunterait volontiers, par quelques sauts conceptuels, sa loi détournée au cinéma, pour l’appliquer aux états des personnages du film, passant du noir à la lumière, dans un élan positif. Sur le thème universel de la mort, de la perte et du deuil, Mikhaël Hers se donne le temps d’une lenteur narrative presque indolente, pleine de moments en creux, d’immobilités contemplatives, d’attentes indécises.
Tout en désenchantement ténu, minimaliste, le récit sobre élude avec pudeur le dolorisme, les afflictions, les pleurs. Il s’échappe, il se dérobe, il jette par-dessus bord tout psychologisme. Il prend en compte, dans un dépouillement subtil, la dimension du tragique et la fatalité de la finitude, dans une sorte de fascinante méditation. Le deuil n’est pas pour autant sans issue. Il avance, il se déplace, il marche, comme les personnages d’une ville à l’autre, comme porté par la certitude sereine que la gravité de la vie finira par s’alléger. C’est peut-être ça, le sentiment de l’été : le passage du noir à la lumière. Ce sentiment intime d’un désespoir radieux passe dans les yeux tristes du vulnérable Anders Danielsen Lie et dans les élans miraculeux de la vie debout de Judith Chemla.