Mariana Otero a l’art et la manière de faire du grand cinéma avec le réel. Que son sujet lui soit très personnel en tant que femme et fille (Histoire d’un secret, 2003), qu’il la concerne en tant que citoyenne et militante (Entre nos mains, 2010), ou, comme ici, qu’il l’interroge en tant qu’être humain doué de raison. Elle ne l’empoigne pas, non, elle s’en imprègne et s’y glisse, se fait accepter tout en restant toujours à sa place de regardeuse, à travers la caméra, qui répond quand on lui parle. Elle filme une institution pour enfants psychotiques située dans les bâtiments d’une grande ferme, à la frontière franco-belge. Un lieu étonnant, où les soignants multiplient les activités (du jardinage à la musique) et remettent chaque jour en question leur savoir et leurs pratiques en fonction de chaque patient. Ce que la réalisatrice réussit à voir et à nous montrer, la maladie mentale au quotidien, la lutte de ces enfants avec eux-mêmes, leurs corps, leurs pensées, leur langage, et les victoires aussi microscopiques que spectaculaires, est d’une force sidérante. Depuis Raymond Depardon et son San Clemente, on n’avait pas vu un documentaire approchant avec intégrité et cœur, sans nous prendre en otages, ce monde parallèle au nôtre, qui nous ressemble autant qu’il nous échappe. A ciel ouvert fait vaciller nos certitudes et ouvre notre regard. Face à Evanne, Allyson, Amina et les autres, de cri en sourire, de silence en regard, de fuite en course joyeuse, apprêtez-vous à être chaviré.