Après Massacre à la tronçonneuse en 2014, c’est au tour d’un autre slasher – survival horror de ressortir sur les écrans : La colline a des yeux de Wes Craven. Le désert américain, une ruralité dégénérée, des morts à la chaîne : retour en terrain connu.
On se souvient surtout du remake d’Alexandre Aja, sorti en 2006. Au point d’avoir presque oublié l’original de 1977, second film du jeune Wes Craven, pas encore « maître de l’horreur », mais cinéaste déjà remarqué avec le très sanglant La Dernière Maison sur La gauche, sorti cinq ans plus tôt.
A priori, le remake est très proche de cet original, et raconte exactement la même histoire. Les Carter, une famille traditionnelle américaine, sont en voyage pour Los Angeles. C’est bientôt les 25 ans de mariage des parents, et ils décident de profiter de leur camping-car pour faire une escale dans l’arrière-pays, malgré les avertissements d’un pompiste bizarrement apeuré. Pas très malin, mais on les excusera : La colline a des yeux de Wes Craven dessine encore les prémisses d’un genre qui se multipliera vite à l’identique – jusqu’à ne plus savoir quoi faire de ces cadavres de jeunes citadins ou de gentilles familles qui viennent polluer les déserts du Texas et du Nouveau-Mexique. On sera moins indulgent avec les personnages de la version d’Aja, qui refont la même erreur après plus de 30 ans de slashers imprégnés dans la mémoire collective !
Essais atomiques sur famille nucléaire
Un accident plus tard, et voilà le petit groupe bloqué en pleine zone d’essais nucléaires. Un empire de collines et de poussière où il n’y a de place que pour une seule famille. Manque de pot, cette place est déjà prise. Car les Carter ne sont pas pris en chasse par des serial killers ordinaires, mais par une famille de tueurs cannibales, appâtés par cette caravane venue se planter dans leur décor.
La colline a des yeux, c’est la famille traditionnelle américaine face à son miroir déformant. Les habitants des collines sont sales, fous et assoiffés de sang. En un mot, ce sont des sauvages. Les Carter, eux, sont civilisés. Ils ne mordent pas, n’ont ni hache ni lances, mais de bien meilleures protections : Dieu, la police et les revolvers. Des armes de défense, et non d’attaque. Mais dans les collines hostiles, c’est vivre ou mourir. Et pour survivre, il leur faudra réveiller le sauvage qui est en eux.
Au premier regard, on dirait un film d’horreur classique. Et pourtant, il y a bien des choses dans La colline a des yeux. On dit que Wes Craven s’est inspiré de documentaires sur la guerre du Viêt Nam pour réaliser ce film gore. De plus, le scénario revient sans cesse – par détour et sans s’y attarder vraiment – sur une histoire d’essais nucléaires, de zone contrôlée par l’armée américaine. Les seuls autres êtres civilisés que croiseront les Carter dans les collines sont des avions de chasse, le nec plus ultra de la sauvagerie – étrangement, ceux-là n’interviendront jamais à leur rescousse. Mais sur ces éléments, le film d’Aja est plus prolixe. Ici, les réflexions qui sous-tendent ce qui est aussi un vrai film de série B, jouissif comme il se doit, portent sur le néoconservatisme américain, qui fait acheter des camping-cars et vendre des F-16, et qui bientôt portera Ronald Reagan au pouvoir.
Contre le monde, contre la vie
On peut aussi se rappeler que le film de Wes Craven est souvent présenté comme librement adapté d’une histoire étrange qu’on trouve dans le Newgate Calendar, un drôle de livre anglais du XVIIIe siècle, anthologie de biographies de criminels britanniques du siècle précédent. On y découvre ainsi la vie de Swaney Bean et de ses 48 enfants et petits-enfants. Cannibales, ils capturaient et séquestraient dans leur grotte des habitants des villages alentour. Arrêtés dans l’Angleterre du bon roi Jacques Ier, de Shakespeare et de Francis Bacon, on les exécuta sans procès. La mort qu’on leur fit subir fut à la hauteur de leurs atrocités : aux hommes, on coupa les parties génitales et on les laissa se vider de leur sang tout en forçant les femmes à regarder. Des soldats de Jacques Ier à la famille Carter, ils étaient tous au départ des gens bien civilisés, forgés de morale, mais face à l’horreur, ils sont devenus aussi sauvages que leurs ennemis.
La Colline a des yeux dit quelque chose sur l’Amérique des années 1970, comme l’histoire de Swaney Bean raconte un peu l’Angleterre jacobéenne. Bien sûr, on pourrait faire des liens avec nos drôles d’années 2010, et apposer à Wes Craven la carte prophétique qu’on rejoue à tour de bras au gré des ressorties. Mais à quoi bon, sinon à dire que l’histoire se répète ? Et on aurait tort, car La Colline a des yeux est, esthétiquement et politiquement, un film des années soixante-dix. Il porte les stigmates de cette époque jusque dans ses faux raccords. Jusque dans sa manière de raconter cette histoire. C’est un film politique, d’accord, mais pas un film à thèse. Il porte un macabre constat mais ne cherche pas à offrir de solutions. Wes Craven n’est ni Montaigne, ni Rousseau. Pour lui, la sauvagerie est horrible et la civilisation ne vaut rien. Qu’on considère le décor de La colline a des yeux comme un désert aride et sauvage ou comme une zone militaire parfaitement organisée, on l’appréhende avec le même avertissement que celui qui ouvre L’Enfer de Dante : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance ».