Mathieu Amalric adapte le roman policier de Georges Simenon de 1964. Dans La Chambre bleue des amants frénétiques, une culpabilité empoisonnée par le doute.
Le mari de l’une est mort. La femme de l’autre a été tuée. Qui a fait quoi ? Qui a eu une main criminelle ? A quel pacte diabolique des amants complices se lie la tragédie ? Ce n’est pas révéler coupablement la cinquième réalisation de Mathieu Amalric, que de dire, d’emblée, que ces questions ne trouveront pas, à la fin, leur sûre et évidente réponse, même quand la justice aura prononcé son jugement et sa peine. La Chambre bleue verrouille une énigme et renferme du mystère, de l’irrésolution, de l’interrogation. L’intrigue ne résout rien, elle laisse tout en suspens, des ombres, des doutes, des béances.
A mesure que se forge la conviction de l’instruction, qu’un homme et une femme qui s’aimaient, se désiraient, se dévoraient, ont bien tué leurs conjoints pour gagner la liberté de leur passion, le récit même reconstitue ce qui s’est passé, non pour élucider ce qui a eu lieu, mais pour épaissir l’indécidabilité des faits. Une parole mène subjectivement le récit : celle de l’amant, prévenu, lors de ses interrogatoires. C’est à partir de ce qu’il répond aux enquêteurs que s’opère la narration en flashbacks, qui dit de ce qui a pu avoir lieu. Le film ne cesse d’aller et revenir entre le passé de la passion et le présent de sa relation, de s’accrocher à la parole quasi performative de cet homme entravé, dans un palais de justice, qui répond de cet amour mortifère. Un jeu de pistes paraît s’élaborer, qui est d’abord un jeu d’égarement. Chaque piste est possiblement une fausse piste, menant à une impasse.
La certitude de la justice, du mobile passionnel à la commission du crime par des amants frénétiques, n’est pas la certitude du cinéma et de son mensonge. Tout ce que l’on voit est peut-être vrai, peut-être faux. La Chambre bleue en cela est sans doute un pur objet de cinéma, cet art de la manipulation. La caméra fait entrer dans le champ des indices, des éléments de causalité et d’effets, mais l’accumulation ne fait que charger les strates du récit. La vérité n’existe ni au cinéma, ni dans cette histoire. Ce qui se montre ne tient pas lieu de preuves, et rien ne sera démontré : il n’y aura pas de vérité des faits.
Mathieu Amalric est derrière et devant la caméra, époux de Léa Drucker, amant de Stéphanie Cléau. Il filme sec, elliptique. Il joue vite, l’illusion exacte. L’acteur se dérobe à la vérité ; comme l’amant opaque. Le crime parfait ne s’avoue jamais.